Une devise « Non Mihi Non Tibi Sed Nobis » mais surtout un engagement de vie.
Xavier Rôlet (cousin de la famille éponyme du Jura) qui avait le vin dans ses veines, est immédiatement tombé amoureux de ce magnifique domaine niché dans un environnement exceptionnel, exploité au Moyen-Âge par les Templiers mais qui était entièrement à l’abandon, à la suite de discordes entre les héritiers. Sans eau, ni électricité, le prieuré datant du 9ème siècle n’était qu’une ruine ; les vignes étaient en fermage ; personne n’en voulait car, malgré la réputation historique de ces terroirs d’altitude, elles avaient été abandonnées, après la création de coopératives, en faveur des vignobles dans la vallée, aux rendements plus élevés à la facilité d’exploitation plus grande.
Chaque instant dans les salles de Marché, chaque économie, étaient gagnés pour ce domaine qui était l’aboutissement d’un rêve…Il ne fallut pas moins de 12 ans pour restaurer les vignes et surtout beaucoup d’amour… Celui de son épouse Nicole ainsi que sa sœur Bénédicte et son beau-frère Jean-Louis Gallucci, tous reconvertis au métier de vignerons, pour servir ce grand projet de vie.
Il sut en percevoir dans l’instant toutes ses potentialités, s’étonnant même qu’un tel joyau ne suscite pas plus de convoitise. Comment était-il possible de tomber sur un diamant brut comme celui-ci. Pourquoi d’autres ne l’avaient-il pas vu ? Un vignoble exceptionnel, le grand soleil méridional donnant un beau fruit bien mûr, le vent amenant concentration et emportant maladies, l’altitude scellant la fraîcheur et donc la capacité de vieillissement ainsi qu’une géologie exceptionnellement complexe apportée par les Dentelles garantissant une minéralité originale… En un mot les conditions dont rêve tout vigneron pour faire un vin d’exception. Tout était là… Il fallait juste le révéler, le faire revivre.
Dans la 2e partie du XXe siècle, les vignerons avaient oublié ces terroirs d’altitude au profit de la quantité voulue par les coopératives et de la plus grande facilité d’exploitation dans les plaines car ici tout doit se faire à la main. C’est au combien difficile, mais quelle différence au final ! Tout commençait à prendre sens surtout si on y intégrait cette dimension historique. C’est tout cela et bien plus encore qui leur a donné l’audace de vouloir faire de grands vins. Mais le plus essentiel, fut la conscience de comprendre l’importance d’avoir un vignoble naturel et vivant.
J’ai eu la chance de croiser un jour Nicole, l’âme de ces lieux, lors d’une présentation de ses vins au sein d’un cercle Parisien et j’ai compris pourquoi plus de deux décennies après la construction de la cave et la vendange du premier millésime du Chêne Bleu, la presse et les experts se réfèrent souvent au domaine. Celui-ci a acquis ses lettres de noblesse dans les concours à l’aveugle et auprès des critiques les plus exigeants en France et dans une vingtaine de pays. Ses cuvées sont médaillées plus de 70 fois et il a même reçu la reconnaissance du Meilleur Rosé du Monde à la célèbre dégustation chapeautée par le Master of Wine Richard Bampfield, et plus récemment par l’équipe de Jancis Robinson… Ses cuvées phares Abélard et Héloïse ayant eu les meilleures notes de la Vallée du Rhône Sud sur plusieurs millésimes.
Elle me partage ce qui lui plait le plus dans ses journées. Elle aime à dire avec son grand sourire que le vin est le 2e plus vieille profession du monde ! Des archéologues ont trouvé en Arménie, les vestiges du plus ancien chais au monde datant de 4600 ans avant Jc. « C’est extraordinaire et cela montre bien qu’il y avait déjà ce désir de l’homme d’avoir une relation intense avec la vigne ». Ce qui pour elle, est très intéressant dans cette profession, c’est cette association permanente d’histoire et de tradition, mais aussi la grande opportunité offerte à la création, l’innovation… Tout semble avoir été pensé et pourtant tant de choses sont encore à faire dans ce possible entre « déconstruire et reconstruire » dans une harmonie entre une créativité extrême et métier très traditionnel. Le monde du vin pour elle, « est très accueillant avec des personnes ayant des parcours très différents…Les connaissances que l’on a dans d’autres domaines peuvent être des apports exceptionnels, car les grands vins sont intéressants dans leurs aspect multidimensionnels, dans un tout plus important que la somme des parties ».
A cela s’ajoute cette envie de créer non pas seulement pour quelques-uns mais pour tout le monde, de travailler avec d’autres vignerons passionnés, car les challenges sont trop grands et les choses changent trop vite même et surtout dans un monde du vin qui ne peut pas se reposer sur son histoire pour se périniser…C’est aussi pour cela qu’elle participe à un Think-Tank international Fine Minds 4 Fine Wines (FM4FW), pour discuter de l’avenir des vins
Car les Rolets, croient beaucoup dans l’esprit de collaboration pour résoudre les grandes problématiques. D’où leur devise : « Non Mihi Non Tibi Sed Nobis » (Pas à Moi, pas à Toi, Mais à Nous) qui dit beaucoup de l’esprit qui règne en ces lieux.
J’ai aussi compris pourquoi ce charme, cette passion, cet engagement de tous les instants n’avaient comme seule finalité, que de créer ces grands Rouges que sont « Abélard », à majorité de Grenache (+ ou – 90%), avec une touche de Syrah dont la puissance et la concentration n’avait d’égale que sa finesse et sa personnalité…Et que sont « «Héloïse », avec son expression tout en finesse, 65% Syrah, associé à un tiers Grenache et à une larme de vin blanc, Viognier ou Roussanne, en fonction des millésimes, dans l’esprit d’un Côte- Rôtie, mais avec une identité plus qu’affirmée. Le premier faisant des merveilles sur un gibier ou un steak ou poivre (version Raymond Oliver) et le second s’associant remarquablement sur une volaille.
Ce qui m’a étonné, ce sont les niveaux d’acidité naturelle apportés par l’altitude et la minéralité du site qui contribuent à faire des vins dont la fraîcheur permet une excellente capacité de vieillissement : Chêne Bleu ne met ses cuvées prestige en circulation qu’après 8 à 9 ans d’élevage pour assurer qu’ils sont rentrés dans leur « période de buvabilité » optimale, qui perdure au moins pendant une bonne quinzaine d’année. La presse d’ailleurs comme un clin d’œil les a baptisés « Super- Rhône » : comme les Super-Toscans car ils veulent garder les traditions de la région mais s’inspirer aussi des pratiques ou des cépages venus d’ailleurs pour tirer le mieux du fabuleux terroir.
Comme je vous le disais, les rouges étaient superbes mais mon réel coup de cœur fut à ma grande surprise sur les blancs et tout particulièrement sur la cuvé « Aliot » (Roussanne, Grenache Blanche, Marsanne)… Par sa complexité aromatique ou un abricot, une pointe de litchi, de miel, de chèvrefeuille rivalisent à chaque instant ; par son gras qui sait s’équilibrer avec ce qu’il faut d’acidité et par son élevage de haute volée, l’on a ici à faire avec un très grand vin…à boire ou de garde… il s’imaginera bien sur un turbot ou un oreiller de la belle aurore…Ce grand blanc de la maison bénéficie d’une telle complexité et d’une telle originalité aromatiques qu’il ne peut que pousser les véritables amateurs de beau et de bons à la curiosité et à sortir de leur habitudes et de leur préjugés. Le véritable luxe n’est-il pas là ?
Le Luxe est aussi et surtout dans cette écoute permanente de la Nature qui donne toutes les potentialités. L’engagement du Domaine envers la planète dépasse simplement les lignes de conduite de l’agriculture biologique et celle dont la presse se délecte aujourd’hui comme un point de passage obligé. Ici c’est avant tout le respect d’un écosystème, situé au cœur de la réserve de biosphère du Mont Ventoux (reconnue par l’UNESCO), il offre un trésor de richesses naturelles inestimables : des levures indigènes intéressantes, des arômes de fleurs sauvages complexes, des espèces en voie de disparition, une biodiversité extravagante (1400+ espèces de papillons). Le domaine adopte une approche très expérimentale qui combine la science, l’empirisme, la philosophie, et a voulu aller encore plus loin : en plantant une forêt de bambou pour filtrer les eaux usées, en expérimentant le rôle des abeilles dans la vigne et en collaborant avec scientifiques et autorités afin de réconcilier la gestion agricole et forestière et surtout en éduquant le public sur le rôle essentiel joué par chacun de ses acteurs dans la production de ses vins. C’est cette Nature qui donne toute cette personnalité si singulière à chacune des bouteilles du Chêne Bleu.
Chaque instant est précieux pour tenter de faire mieux. Il a fallu aussi une dizaine d’années pour restaurer le prieuré médiéval et pouvoir accueillir des visiteurs que cela soit pour un simple moment, un instant de gastronomie ou un séjour d’œnotourisme dans une magnifique chambre d’hôte. Il y a quelques jours, plusieurs groupes étaient dégustation : Un groupe d’américains, une Malaisienne qui vivait a Hong-Kong avec son mari suisse, des Hollandais qui avaient une résidence secondaire dans la région, et un groupe de Locaux…Toutes ces magnifiques singularités qui se rencontrent dans un même lieu comme l’aboutissement d’un travail. En fait en écrivant ces lignes je me suis dit que tout était ici fait pour faire du lien comme ce désir de réconcilier son savoir-faire gastronomique avec les ingrédients locaux à base de pratiques durables à l’instar de cette salade de petit épeautre bio, de ce fromage de chèvre du village, de ces tomates d’espèces rares du jardin, de l’agneau élevé sur la propriété…Tout cela pour accompagner les vins du domaine…Pour aussi le bien manger, pour le bien boire et puis parce que la maman était critique gastronomique, que le Papa était collectionneur de vins…Et surtout pour le désir de faire partager cet endroit, pour le vivre. Je vous avais par encore dit que le domaine apparait dans les archives du Vatican pour sa source qui faisaient venir les pèlerins au Moyen Age afin de guérir la cécité… Lieu de Guérison, de résilience, de connexion avec la Nature…Un lieu ou venir se poser comme une évidence, en œnotourisme quelques jours.
Mais pour tout cela il y a un ingrédient secret : Le Temps… Pour faire les choses bien. Ici les actions sont faites pour inscrire le domaine dans une optique de perpétuité en espérant que ce domaine sera encore là dans 1000 ans. Ici l’on est vigneron, mais surtout passeur ; car un grand vin n’est pas simplement un breuvage qui se déguste bien avec de l’équilibre, mais c’est surtout une alchimie qui sera jugée à sa capacité à résister au temps, et à se magnifier avec lui.
J’aime cette idée d’entendre que tout ce qui n’est pas construit ou conduit avec justesse, de la vigne au bouchon, verra s’accentuer le défaut sur la qualité. « Les cycles sont de 10/15/20 ans » et « c’est à cette durée que l’on verra si le travail a été bien fait ». Nicole pour illustrer son propos nous parle avec émotion de ses « 2007…Avec le bois très bien intégrés, des tannins soyeux…une explosion de fruit » C’est ce temps qui, comme dans beaucoup d’autres artisanats, va être le juge suprême
Chaque geste fait ici est une invitation à redécouvrir ce terroir au potentiel exceptionnel et inusuel, avec un regard nouveau : de le valoriser en construisant l’identité des vins autour de la logique du terroir, même si celle-ci ne correspondait pas toujours à celle des appellations pour des raisons historiques. Pour cela, les cuvées phares de la gamme sont donc en IGP (autrefois appelée Vin de Pays), ou bien en appellation Ventoux, pour pouvoir avoir une liberté absolue de création et de qualité au moment de l’assemblage.
Comme dans tout grande chose, il y a ici une dimension spirituelle dans la connexion avec les gens, avec la terre et avec ce quelque chose qui fait, que la somme du tout est plus important que la somme des parties… Chaque découverte, chaque rencontre, chaque essai, chaque dégustation ne nous dit-elle pas que les grands vins nous connectent à des vérités sous-jacente en soi…et nous amène à une connaissance de nous et de bien d’autres choses et comme le dit Nicole, que ce pari est fait, parce « qu’il y a quelque chose ici qui vaut la peine… ».
Chacun est libre de les apprécier ou pas, mais de grâce ne considérez plus comme quelques un des membres que nous avions croisé dans ce cercle, qu’un Ventoux ne peux pas avoir la même valeur qu’un bordeaux. A travers le monde, à travers les terroirs, il peut y avoir des gens qui prennent le temps de faire merveilleusement bien et cela a un cout. Je pense d’ailleurs à l’Italie ou dernièrement, loin de la Toscane ou du Piémont, un Vigneron des Abruzzes s’est vu décerné le prix du meilleur vin blanc du monde, mais nous en reparlerons. Chêne Bleu participe aussi à nous redire que le véritable élégant, le pur esthète est toujours curieux. J’ai aimé leur vins qui ne sont pas des copiés collés de ce que l’on connait mais qui ont une réelle une singularité, une réelle identité…et qui m’ont donné tant de plaisirà la dégustation.
Xavier A
Domaine du Chêne Bleu
Chemin de la Verrière
84110 Crestet
Téléphone : 04 90 10 06 30