En achetant en 1952 un vignoble à Saint-Estèphe, sur ce terroir de graves regardant la Gironde, Hervé Duboscq a une conviction : il tirera de Haut-Marbuzet un très grand vin…
Par Xavier Aubercy
Nous avons tous notre madeleine de Proust. Ce souvenir gustatif d’un intense moment de plaisir partagé avec une personne que l’on aime. Pour moi, ce fut un instant avec mon père, dégustant un Haut Marbuzet de 1990 élégant et complexe.
En 1952, Hervé Duboscq achète un vignoble sur un terroir magnifique qui « regarde la Gironde ». Il sait dès le premier jour que ses sols de graves argilo-calcaires, flirtant avec ceux de son illustre voisin le Château Montrose – Second cru classé de 1855 -, feront un très grand vin. Pendant plus d’un demi-siècle, avec son fils Henri – et ses fils aujourd’hui -, il va agrandir, replanter, améliorer et surtout aimer ses parcelles pour reconstituer très exactement le domaine historique des Mac-Carthy. Ils vont créer un nom reconnu internationalement par des amoureux du vin du monde entier. Je me souviens du grand critique américain Robert Parker qui, sur un grand millésime, avait décrit ce vin comme « le plus sensuel de Bordeaux ».
« Qualité est ma vérité » : Telle est la magnifique devise de ce domaine de 65 hectares qui résume à elle seule tout l’esprit empreint d’une profonde humanité que l’on retrouve dans chacune de ses bouteilles. Bien sûr, nous pourrions décrire Haut-Marbuzet comme le village d’Astérix encore indépendant, cerné par tous ces domaines rachetés par de grands groupes financiers et leurs capitaines d’industrie. Bien sûr, nous pourrions parler de ses vendanges manuelles ; de son assemblage composé de 50 % de cabernet sauvignon, de 40 % de merlot et de 10 % de cabernet franc ; de ses températures de fermentation les plus élevées possible ou de ses macérations longues qui concourent à sa texture ; du soin tout particulier porté au choix de ses barriques neuves issues des forêts françaises de Tronçais et du Nivernais ; de sa durée d’élevage de 18 à 22 mois ; de son classement longtemps en Cru Bourgeois exceptionnel même si beaucoup de dégustateurs le considèrent plutôt au niveau d’un 3e, 4e ou 5e grand cru classé de 1855… Bref, de tous ces points qui contribuent à lui donner sa personnalité si singulière. Pourtant, c’est surtout la dimension familiale de cette exploitation qui mérite d’être mis en avant, afin de montrer combien, ici, le vin est fait avec âme et cœur par un grand seigneur de la terre.
Même si, en général, il peut être bu assez rapidement, un Haut Marbuzet mérite qu’on l’attende une dizaine d’années. Il se suffit à lui-même, d’ailleurs, avec une bonne et belle compagnie et un plat simple comme une viande grillée issue de races locales telles que la Bazadaise ou la Blonde d’Aquitaine. Je connais cette maison depuis 30 ans. J’ai eu la chance de déguster le fabuleux 1982 avec son fruit et ses raisins bien murs, l’inoubliable 1990 si plein, si long, ou le merveilleux 2005 avec ses tannins soyeux et ses saveurs d’épices douces… Et c’est cela qu’on peut souhaiter à l’amateur : les mêmes bonheurs de pouvoir déguster l’un ou l’autre millésime – 2014, 2015 et 2016 constituent un trio magnifique. Et, pourquoi pas, de pousser le pas jusqu’ici pour rencontrer un véritable vigneron qui parlera avec passion de ses 60 ans de vendanges…
1 commentaire
Bel article, je vais continuer à lire vos articles