Au coeur de Brive-la-Gaillarde, en Corrèze, la distillerie familiale Denoix, née en 1839, perpétue un savoir-faire historique pour élaborer des liqueurs d’exception.
Par Romain Rivière
D’abord, faire le tour de la collégiale Saint-Martin, l’épicentre de la cité. Puis remonter les ruelles piétonnes pour s’imprégner de son style et de son architecture préservée, faite de pierre de brasier et d’ardoise, conférant à Brive-la-Gaillarde tout son charme, jusqu’au boulevard du maréchal Lyautey, à trois ou quatre minutes de marche de l’édifice. C’est là, dans cet immeuble historique, qu’est installée depuis 1839 la distillerie Denoix, indissociable de la ville dont elle est l’une des icônes. Dans ce lieu emblématique, c’est avant tout une histoire de famille qui s’écrit depuis 180 ans. L’arrivée récente de Marie et Paul Bastier, respectivement fille et gendre de Sylvie Denoix-Vieillefosse et Laurent Vieillefosse, marque ainsi la transmission de cette entreprise historique – labellisée Entreprise de Patrimoine Vivant (EPV) – à la cinquième génération.
La première page de cette histoire est écrite en 1839 par Pierre Lacoste, rapidement rejoint par Louis Denoix. A cette époque, la région voit naître de nombreuses distilleries, répondant à la demande croissante d’apéritifs et, surtout, de liqueurs extra-fines dont les qualités digestives sont alors reconnues. A Brive-la-Gaillarde, ce “riant portail du Midi” cher au poète Jasmin, les artisans travaillent avec amour le cognac et l’armagnac, les deux principales eaux-de-vie du grand Sud-Ouest. La ville est également marquée par l’influence viticole bordelaise, mais aussi de Cahors et de Bergerac, où les ratafias et les vins de noix sont de grande qualité.
Pierre Lacoste et Louis Denoix, spécialisés dans le curaçao triple-sec, lancent donc peu après leur installation le Suprême Denoix, aujourd’hui encore fer de lance de la gamme de la distillerie. Il s’agit d’une eau-de-noix savoureuse, réputée pour un grand nombre de ses vertus. “Elle est élaborée avec les noix de juillet, gorgées de jus lorsque la coquille et le cerneau ne sont pas encore formés”, explique-t-on chez Denoix. Les noix sont broyées, et le jus mis à macérer dans l’alcool et vieilli pendant cinq années en fût de chêne de manière à lui apporter la grande complexité aromatique du boisé, ainsi que les saveurs de vanille, de cacao et de café propre à cette liqueur d’exception, finalement assemblée avec de l’armagnac, du cognac et un sirop de sucre cuit au feu de bois.
Au fil du temps, la distillerie élargit son offre. Elie Denoix, au milieu du XX ème siècle, se lance dans la fabrication de la moutarde violette, que Bernard Denoix, dans les années 80, relance en lui offrant un rayonnement international qui assoit la renommée de la maison gaillarde. Historique, cette moutarde, faite avec du moût de raison et des graines fines de moutarde, doit sa renommée au pape Clément VI, né en Corrèze et qui, au XIV ème siècle, se souvenant qu’on y faisait une excellente moutarde violette, fit venir un moutardier de Turenne – non loin de Brive – en Avignon pour y fabriquer un produit identique. La moutarde violette devient alors une tradition briviste, jusqu’au XIX ème siècle. Emblématique de l’excellence française, cette moutarde doit sa survie à l’attachement que lui porte Elie Denoix ainsi que ses enfants et petits-enfants.
Franchir le seuil de la distillerie Denoix, c’est plonger dans un environnement inchangé depuis 180 ans, fait de cuivre et de chêne, matières nobles qui ont servi et continuent à servir les maîtres liquoristes de la maison. Ici, plane un parfum de fruits et de plantes porté par la part des anges. Au matin, les foyers rougeoient et l’alambic laisse s’échapper les vapeurs, tandis que le chaudron de cuivre bouillonne : les élixirs, comme au XIX ème siècle, sont élaborés manuellement. Au coeur du chai, trône le vieil alambic en cuivre à bain marie de type charentais, sur un foyer au charbon. Permettant au liquoriste d’extraire les arômes présents dans les fruits ou les plantes afin d’en parfumer l’alcool, cet alambic d’époque, qui constitue un véritable patrimoine de la maison, demeure au cœur de l’élaboration des liqueurs.
“Grâce à cette distillation, la concentration des arômes est optimale et permet une sélection fine en écartant les mauvais goûts”, raconte-t-on à la distillerie. D’abord, les plantes ou les fruits sont macérés dans un alcool neutre ou noble comme l’armagnac. Puis la cuve est chauffée doucement, et les vapeurs d’alcool emportent les parfums concentrés. “En sortie du chapiteau, le col de cygne guide les vapeurs vers le serpentin baignant dans une cuve d’eau, et le distillat qui s’y condense peut être recueilli à sa sortie”, poursuit-on. L’alcool, riche en arômes, est alors incolore et titre à 80 degrés. Le liquoriste oeuvre alors avec tout son savoir-faire pour isoler le coeur de chauffe. “Le plus qualitatif est conservé pour l’élaboration des liqueurs”, assure le porte-parole de l’entreprise gaillarde.