Rares, confidentielles et exigeantes, les cuvées de champagne les plus exclusives demeurent de formidables vitrines pour les maisons : elles incarnent leur savoir-faire tout en exprimant leur définition d’un grand vin.
Par Romain Rivière
Elles sont au champagne ce qu’est la Formule 1 à l’automobile. Une formidable vitrine, reposant sur un condensé de tous les savoir-faire et exprimant une vision, voire une définition d’un grand vin de champagne. Les cuvées de prestige, également appelées cuvées spéciales, rares ou exclusives car ne répondant à aucune règle ni aucune définition, ont un point commun : les maisons qui les créent, petites ou grandes, apportent un grand soin à leur élaboration pour que le résultat soit… exceptionnel. Si un soin particulier est apporté à ces cuvées, c’est que leur importance en termes d’image est considérable. Grand Siècle, Comtes de Champagne, La Grande Dame, Cristal, Dom Perignon… autant de noms symbolisant l’excellence des vins de champagne aux quatre coins du monde.
Pour leur élaboration, très exigeante financièrement, chaque maison s’appuie sur un cahier des charges extrêmement strict et sur un temps de vieillissement long – jusqu’à 13 ou 14 ans –, mais aussi sur sa propre vision du champagne, son terroir, son histoire ou encore sur sa typicité. Chez Taittinger, par exemple, le fleuron porte le nom des ancêtres de la famille : Comtes de Champagne. Considéré comme l’un des meilleurs vins au monde, ce blanc de blancs réalisé dans les seuls millésimes exceptionnels, issu des grands crus de la côte des Blancs, repose sur des critères qui excluent une production de masse. Rare par nature, il est réalisé avec le seul vin de première presse qui lui offre une finesse remarquable, et vieillit ensuite dix années dans les caves de la maison, installées dans les crayères de l’abbaye de Saint-Nicaise. Cet été, le millésime 2007 a été dévoilé, succédant au 2006.
De son côté, Laurent-Perrier s’est appuyé sur une vision fondamentalement différente pour créer Grand Siècle, à la fin des années 50. Cette vision, c’est celle du visionnaire Bernard de Nonancourt, qui, désireux de recréer l’année parfaite pour obtenir un vin exceptionnel, ose s’affranchir des millésimes pour privilégier l’assemblage de trois années exceptionnelles capables d’apporter à la fois la finesse, la fraîcheur et l’élégance. Multimillésimé, Grand Siècle, élaboré à partir de 11 grands crus de chardonnay et de pinots noirs et vieilli huit années en cave, se caractérise ainsi par une robe brillante, des bulles fines, un nez brioché aux notes d’agrumes et une bouche remarquablement équilibrée.
A Verzy, Louis de Sacy a imaginé une cuvée spéciale en 2003, portée avant tout par une démarche expérimentale. « Jusqu’alors, nous n’avions jamais assemblés nos raisins, provenant de différents terroirs, explique Yaël Sacy. Notre volonté était donc de créer un vin différent, reposant sur les spécificités propres à chacun de nos terroirs, faiblement dosé de manière à laisser ces terroirs s’exprimer. Nous en avons fait 1 200 magnums que nous avons laisser vieillir douze ans en cave avant dégorgement. » En 2015, la Cuvée XII, élaborée majoritairement à base de pinot noir, voit ainsi le jour. Si le résultat s’avère à la hauteur des espérances, Louis de Sacy n’a pas vocation, dans l’immédiat, à reproduire ce vin rare, dont il ne reste en cave que 400 magnums. Sa gamme courante, pour l’heure, est couronnée d’une cuvée Grand Soir millésimée, à base de pinots noirs et actuellement proposée en 2008.
Chez Pannier, la cuvée Egérie est née dans les années 1980. A cette époque, la maison, dont les vignobles sont constitués de chardonnay sur la côte des Blancs mais aussi de pinots noirs et de pinots meuniers, entend trouver un nouvel équilibre entre ses raisins. De multiples essais sont réalisés, d’abord sans pinot meunier, et finalement avec. « Nous avons ainsi compris que ce cépage, typique de notre terroir, était indispensable dans l’élaboration de nos vins, dont les notes friandes constituent une spécificité », raconte Philippe Dupuis, le chef de cave. En ajoutant une touche de ses meilleurs pinots meuniers à ses chardonnays et pinots noirs, et après dix ans de vieillissement en cave, Pannier parvient ainsi à présenter un vin peu dosé mais gourmand. Le millésime 2006, en fin de vie, laissera la place, début 2019, au 2008. Philippe Dupuis promet un vin raffiné, élégant, fruité et gourmand.
Autre terroir, autre démarche. Pierry, village classé premier cru adossé à la côte des Blancs. L’historique maison Mandois, née en 1735 et encore familiale, y possède un vignoble de 40 hectares réparti entre douze villages, et composé à 70 % de chardonnay. Sa spécificité ? Un clos d’1,5 hectare autour de la propriété, planté en pinot meunier. « Au début des années 2000, nous avons voulu élaborer un vin dédié à l’après repas. Après plusieurs années de travail, nous avons réalisé que seul le clos donnait le résultat attendu », raconte Claude Mandois. En s’appuyant sur un millésime 2004 idéal pour cette petite parcelle, l’équipe de Claude Mandois s’acharne à ne retenir que 4 000 kilos parmi les meilleurs raisins du clos, à maturité parfaite, et à élaborer un vin qui devait vieillir dix ans en cave. Ce long travail dans les caves a permis au bien nommé Clos Mandois, millésime 2004, d’acquérir une complexité unique, habillée sous une robe or profond, et de s’offrir une place singulière parmi les grands vins de champagne. Proche de la rupture, ce millésime, produit à hauteur de 3 500 bouteilles, sera remplacé d’ici au printemps 2019, par le 2008.
En profitant d’une année 2005 idéale, et dans la lignée de la tendance champenoise à élaborer des vins à la bourguignonne, c’est à dire en parcelles, la maison Colin a imaginé une cuvée spéciale portant le nom des deux vieilles vignes qui la composent, au cœur de son terroir premier cru, à Vertus : les Prôles et Chétivins. « Pour laisser une grande force d’expression à ces vignes, plantées dans les année 60 et qui nécessitent une récolte exigeante, nous avons souhaité faire de ce blanc de blancs une cuvée extra-brut », explique Romain Colin. Et pour lui offrir cette robe or aux reflets bronze, et cette grande complexité – fleurs blanches et viennoiseries au nez, notes torréfiées et citronnées en bouche –, la maison lui a imposé un vieillissement de 10 ans dans la fraîcheur de ses caves. En résulte un superbe champagne d’apéritif ou de gastronomie, finement équilibré. Rare – entre 2 000 et 4 000 bouteilles selon les millésimes –, cette cuvée est reproduite quand le millésime s’y prête : le 2006 prendra le relais d’ici à l’été 2019, puis suivra le 2008.
Cette année 2005 a également inspiré Pierre Gonet, le responsable technique de la maison Philippe Gonet. En cas de grand millésime, Philippe Gonet réalise en effet une cuvée ultra-confidentielle – 2 700 bouteilles : Belemnita. Ce blanc de blancs, issu des chardonnays grand cru du Mesnil-sur-Orge au style tendu et épuré, doit son nom au terme latin de la craie du terroir du Mesnil sédimentée lors de l’ère tertiaire. Vieilli 5 ans dans les caves de la maison, voire davantage, présente une un nez parsemé d’arômes de miel, de noisette et d’amande grillée, et offre une bouche longue aux nuances d’agrumes. Capable de vieillir encore, Belemnita 2005 peut se montrer plus surprenante encore et dévoiler la puissance de son terroir minéral lorsqu’elle est carafée et dégustée à 12°. Sur un carpaccio de truffe et Saint Jacques, cette cuvée rare est tout bonnement divine.
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