Pas facile de succéder à un mythe. En prenant la suite de la dernière Porsche à air, la 996 devait relever un double défi. D’abord, faire progresser la lignée prestigieuse des 911 sans trahir son ADN, ni son esprit. Ensuite, la faire pénétrer dans un nouveau millénaire. Elle y est parvenue parfaitement. Voici l’histoire de la plus grande réussite commerciale de Porsche, mais aussi l’essai passion de la première 911 de l’ère industrielle « à eau ».
Par François Tauriac
«Il faut que tout change, pour que rien ne change », dit Tancrède dans le Guépard de Visconti. Alain Delon n’a jamais été un fan de Porsche, passionné d’italiennes qu’il était. Même s’il a été longtemps amoureux d’une belle allemande. C’est sans doute en ruminant cette phrase célèbre que l’autre marque au cheval cabré a élaboré les plans de sa 996. Ayant décrété l’abandon de la 993, à cause notamment des exigences inapplicables des normes anti-pollution, c’est donc d’une feuille totalement vierge que les concepteurs de Stuttgart décident de partir pour imaginer la nouvelle née. Et il est vrai que, lorsqu’elle sort en 1998, rien n’est plus pareil au-dehors et au-dedans de la nouvelle 911. Même si elle reprend l’allure générale de la « grenouille accroupie » chère au cœur des porchistes, la caisse n’est plus du tout la même.
Elle est totalement inédite. Plus longue de 17 cm (4,43 mètres), un peu plus large de 3 cm, et quasiment de la même hauteur. Mais c’est son empâtement qui évolue le plus : 7,18 cm. De l’avis de tous, c’est sans doute le trois-quart arrière de cette Porsche qui en est la partie la plus réussie. L’avant de la voiture, avec ses nouveaux phares intégrant les clignotants – empruntés au Boxster – étant loin de faire l’unanimité. Ses hanches sont plus généreuses, ses feux arrière typiques et très esthétiques, son aileron déployant encore mieux intégré que celui de sa devancière. Il faut dire que sous le capot, on a dû faire de la place. Exigences du crash-test obligent. Le moteur est lui aussi totalement inédit. C’est toujours un 6 cylindres à plat en porte-à-faux arrière, mais il est désormais refroidi par eau. Radiateur situé dans le nez de l’appareil et vase d’expansion à l’arrière. Ensuite, il ne reprend absolument aucune pièce du bloc précèdent. C’est un 3,4 litres de cylindrée inédit. Les pistons ont été chemisés, aux fins de rendre le moteur moins bruyant et surtout de garantir des plages de températures de fonctionnement plus restreintes. Enfin les deux culasses sont équipées de 32 soupapes, d’une injection indirecte séquentielle multipoint Bosch et d’un déphaseur de distribution variocam. Le carter sec est intégré sous le bloc et a remplacé ainsi la bâche à huile classique.
Résultat, le bloc sort 300 ch. Il emmène la 996 à plus de 280 km/h. Elle parcourt le 0 à 100 km/h en 5,2 secondes. Le 3.4 litres est aussi moins gourmand – moins de 10 litres aux 100 km à 90 km/h -, plus coupleux, plus fiable et moins exigeant en entretien. Le plus cocasse, c’est que toutes ces avancées majeures n’affectent en rien le poids général de la voiture. Elles l’allègent même, le faisant passer à 1 320 kg.
Au volant aussi, c’est un choc culturel. D’abord, l’auto donne l’impression d’être plus aérée. La surface vitrée plus importante. Idem pour la largeur aux coudes et l’assise. Quant à la position de conduite, on rentre résolument dans la modernité. Volant réglable en profondeur. Sièges électriques multipositions. Dehors, le pédalier « pedal hinge floor », comme disent les Britons. Place à des commandes classiques suspendues. La clef est toujours à gauche, mais l’ère industrielle étant passée par là, la qualité des assemblages et des plastiques est en légère baisse. Le compte-tours est toujours au centre des préoccupations, mais les compteurs se chevauchant sont moins typés. Même si le niveau d’huile électronique qui s’allume avant le démarrage est beaucoup plus pratique. La 911 se réveille invariablement de la même manière, même si elle n’émet plus sa musique soufflante en volutes. Le pot d’origine est une catastrophe. Un bâillon étouffant aux saveurs d’Audi A4 TDi. Le pot sport Inox est donc – là encore – une option obligatoire. La boîte est encore meilleure que sur la 993. Et, grâce à ses commandes par câbles, elle reste ferme et précise. L’embrayage, pas plus dur et compliqué à manier que celui d’une Peugeot de série neuve.
Mais c’est quand le moteur parle que les vraies différences se font ressentir. Bien sûr, on retrouve les caractéristiques qui ont fait la réputation de la marque. Mais l’admission variable et les 32 soupapes font le spectacle. Il y a toujours le coup de pieds à 4 000 tours, mais l’habitué en découvrira un autre autour des 6 000. Haut dans les tours, les envolées lyriques ne sont pas loin de rappeler certains opéras réservés jusqu’alors aux V6 Italiens. Ça feule et ça miaule à l’envi. Comme dans une cage à fauves à l’heure des côtes de bœuf. Le comportement routier est, quant à lui, moins typé que sur la 993. Il y a d’abord le poids du radiateur à eau sur les roues avant, un nouveau train aluminium qu’elle partage avec le Boxster, un nouveau boîtier de direction situé devant l’essieu apportant encore plus de précision et enfin un train arrière à quatre bras inspiré de l’essieu arrière Weissach largement développé sur la 928. Ajoutez à cela un CX de 0,30 au lieu de 0,34 et une meilleure répartition des masses et vous obtenez une auto encore plus facile à conduire, avec un freinage toujours ahurissant d’efficacité. Au risque de faire bondir les puristes, cela fait même un moment que les 911 ne sont plus des monstres de pilotage. Des engins techniques difficiles à contrôler. Les 993, sauf conditions extrêmes, avaient déjà rangé les T, les S ou autres SC au rayon des souvenirs. Ou plus souvent encastrés dans les glissières avec leur soi-disant gentleman driver au volant.
Cette 996 gomme certes un peu les spécificités qui avaient fait la réputation du modèle, mais elle ouvre aussi la porte à une clientèle moins aiguisée, plus néophyte, mais pourtant tout aussi avide de sensations GT. Elle ne va pas être déçue. Les chiffres de vente parlent d’eux-mêmes. 175 000 exemplaires seront vendus en 7 ans. Un record. Devant un tel engouement, la marque décide même très vite de faire évoluer ses motorisations. D’abord pour museler la méchante rumeur de quelques casses moteurs mystérieuses.
« Certes il y a bien eu des problèmes sur ce bloc, concède Pierre Sudreau, patron des assurances TEA Cerede et propriétaire d’une 996 4S. Ils auraient été dus, notamment, à une faiblesse du roulement IMS d’arbre intermédiaire, mais trop souvent on oublie que la 964, par exemple, a subi elle aussi des problèmes à ses débuts sur les embrayages à volant bi-masse et des ruptures de double allumeur. N’oublions pas que la marque a vendu aussi plus du double de 996, ça multiplie forcement les risques. Il est d’ailleurs facile de résoudre le problème d’IMS sur les 996, il suffit de le faire changer autour de 80 000 km en même temps que l’embrayage. » Ensuite, les propriétaires de 996 ayant parcouru 300 000 km sans heurt sont aussi légion. Ça n’a pas empêché Porsche, sans trop l’avouer, de décider de faire de ces défauts un mauvais souvenir en passant son bloc à 3,6 litres afin d’atteindre au passage les 320 ch.
« J’ai toujours rêvé d’une 911, avoue Philippe Guetta, patron de Finaxy Entreprise à Paris et grand connaisseur de grands crus, mais je n’aurais jamais osé franchir le pas Porsche avant la 996. Je ne suis pas un technicien, mais il faut avouer que cette auto réunit, dans un confort bien moins spartiate que sa devancière que j’ai pu essayer, tout ce qu’on est en droit d’attendre d’une voiture de sport moderne. Elle est fantastique et j’ai fait de longs voyages jusqu’à Grenoble à son volant. Elle a su évoluer sans trahir sa lignée, tout en perpétuant la légende et en la rendant accessible. » Les 996 commencent à monter gentiment en cote. On trouve des modèles 98 (clignotants oranges, jante 17’) autour des 20 000 euros. C’est un bon moyen d’accéder au monde des grenouilles magiques.