Le pont entre tradition et modernité ? Une antienne usée jusqu’à la corde par le marketing horloger. Ulysse Nardin vient pourtant de lui redonner ses lettres de noblesse.
Par Olivier Müller
La haute horlogerie se singularise de deux manières : par son esthétique ou par sa technique. En d’autres termes, par son cadran ou par son mouvement. La plupart des grandes maisons évoluent sans difficulté sur les deux tableaux, même si la mode du vintage, qui consiste à reproduire l’existant, a considérablement nuit à la créativité horlogère de ces cinq dernières années.
Ulysse Nardin, que Kering a racheté 700 millions d’euros en 2014, évolue en la matière avec une maestria qui ne se dément pas. Dirigée depuis 2017 par Patrick Pruniaux (ex TAG Heuer et Apple), la manufacture du Locle consolide ses fondamentaux sans jamais cesser sa progression : une histoire tournée vers la marine, des pièces de précision, et une R&D orientée vers le silicium, dont elle fut une pionnière il y a déjà 20 ans, dès 2001.
Synthétiser ces attributs en une seule et même pièce n’était pas gagné. Ulysse Nardin vient pourtant d’y parvenir, résolvant une quadrature du cercle à laquelle plus grand monde n’osait se confrontait. L’idée : se saisir d’une pièce éminemment contemporaine, marqueur identitaire de l’Ulysse Nardin des XX et XXIe siècle, la Freak. Ensuite, s’approprier un métier d’art encore rarement utilisé en horlogerie, et plus encore par Ulysse Nardin : la marqueterie. Enfin, combiner le tout avec le savoir-faire technologique de haut niveau de la manufacture : le silicium.
Le résultat, c’est une Freak X avec cadran en marqueterie de silicium. Le précieux matériau est découpé au cœur des wafers, ces « gaufres » de silicium que la marque fabrique avec son partenaire Sigatec, à Sion. Chaque pièce est ciselée grâce à un faisceau plasma. Tout l’art de cette technique repose sur la dextérité de l’artisan, le silicium utilisé étant d’une friabilité et fragilité extrêmes lors de la manipulation. Le seul fait de superposer légèrement les morceaux au lieu de les imbriquer suffit à en ébrécher les bords. C’est un véritable « métier d’art technologique » qui consiste en l’assemblage et le collage, à la main, de ces pièces nécessaires à la création de ces étonnantes mosaïques.
La Freak X, quant à elle, reste le point d’entrée de la collection Freak. Plus consensuelle, elle se règle avec une couronne et tombe son diamètre d’un large 45 mm à un juste 43 mm. Le mouvement est toujours équipé d’un carrousel tournant sur lui-même une fois par heure. Gagnant en simplicité et en audace, le mouvement possède moins de composants. Cadran et aiguilles disparaissent également. Ce sont ainsi le pont central et l’une des roues qui indiquent respectivement les minutes et les heures.
Proposée à 29 500 euros, la Freak X Marquetry ne sera éditée qu’à 30 exemplaires. Cohérente par rapport à l’histoire de la marque, tournée vers l’avenir, elle projette l’illustre art de la marqueterie dans le XXIe siècle. Remarquablement exécutée, innovante, elle s’inscrit dans le sillage technique et esthétique d’Ulysse Nardin, tout en offrant une créativité jusque-là inconnue, grâce à cette marqueterie de silicium. Que demander de plus ?