La candidature de la ganterie de Millau au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco est en cours. Porté par Olivier Fabre, président de la Maison Fabre, le dossier sera déposé en 2022 ou 2023 et dépasse le périmètre d’un savoir-faire régional pour englober l’ensemble de la filière.
Par Carine Loeillet
La ganterie française repose sur un savoir-faire artisanal qui remonte au Moyen-Âge, établi principalement dans le Dauphiné et le Massif Central. Cette industrie, qui a connu son apogée entre 1850 et 1920 à Grenoble et à Saint-Junien, s’est établie à Millau, nouvelle place forte du secteur gantier, dès les années 30. La particularité millavoise : il s’agit du seul territoire à détenir une filière complète de ganterie depuis le Moyen-Âge. Les pélerins de passage à l’abbaye de Conques payaient leur nuitée avec le fromage Roquefort, les bergers et les troupeaux destinés au lait occupaient toutes les terres des départements alentours. Les matières naturelles, laine et cuir, étaient travaillées sur place. Mais après avoir compté plusieurs centaines d’entreprises, cette industrie a pris de plein fouet la concurrence asiatique, et les spécialistes qui survivent aujourd’hui ne sont plus nombreux. Quelques maisons sont entrées dans le giron de groupes de luxe, à l’image de Causse qui appartient désormais à Chanel, ou de la Ganterie Coopérative de Saint-Junien détenue par Hermès. En investissant dans le secteur, ces groupes ont tenu à protéger un savoir-faire tout en s’assurant d’une production.
Ce savoir-faire, Olivier Fabre a choisi d’y consacrer toute son énergie. La défense de la ganterie française est sa motivation. Petit-fils des fondateurs de la Maison Fabre à Millau, dans l’Aveyron, il mène depuis 2015 la candidature de la ganterie du Pays de Millau au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Pour cela, il a monté une association qu’il dirige. A ses côtés une experte, Nadia Bédar, en charge du projet de candidature. C’est elle qui a réussi à obtenir en 2018 l’inscription de Grasse au patrimoine immatériel de l’Unesco pour son savoir-faire en matière de parfum. Depuis 2003, l’Unesco dispose en effet d’une convention qui a pour objectif de valoriser et sauvegarder des pratiques dites immatérielles, tels que les savoir-faire artisanaux. Olivier Fabre part confiant : « nous avons toutes nos chances, notre dossier est assez exceptionnel car il s’appuie sur un triptyque et dépasse le caractère régional », explique-t-il avec enthousiasme. Intitulé « Les savoir-faire liés à la ganterie traditionnelle des femmes et des hommes du Pays de Millau : de l’agropastoralisme (éleveurs, bergers, naisseurs, nourrisseurs, tondeurs, agriculteurs, vétérinaires) à la connaissance et transformation des matières naturelles (mégissiers, tanneurs, coupeurs, teinturiers, classeurs, filateurs, délaineurs), à l’art de confectionner le gant (maîtres-gantiers, couturiers piqûres et cousu main) », le projet vise à redonner du sens à toute une filière. Une filière unique au monde, qui englobe plusieurs départements. « Il n’existe nulle part ailleurs un territoire avec autant de fêtes et traditions liées à l’agropastoralisme et à la transformation du cuir. Il s’agit d’une véritable culture locale », poursuit le directeur de Maison Fabre.
Pour que ce dossier se démarque auprès de l’Unesco, il faut le protéger en lui donnant une dynamique. « Ce n’est pas du muséal. Il s’agit d’un patrimoine vivant, qu’il faut faire vivre, qui doit continuer et se développer ». Pour Olivier Fabre, « il existe une fierté locale et le dossier sera particulièrement orienté vers les populations régionales, l’inclusion sera la priorité ». Dans cette valorisation, figure aussi le soin de l’animal. Parmi les mesures de sauvegarde liées au dossier, il est prévu une chaire Unesco sur la bien-traitance animale. C’est un travail d’université qui va être orienté pendant au moins quatre ans sur le sujet. Il pourrait s’agir de trois universités : toulousaine, éthiopienne et argentine. Actuellement, les gantiers travaillent majoritairement avec des agneaux métis qui viennent d’Ethiopie. C’est par conséquent cohérent d’impliquer l’Éthiopie dans cette candidature. L’Ethiopie est un acteur clé sur le plan mondial pour l’agneau métis. La candidature pourrait donc devenir internationale avec l’Éthiopie.
Ce dossier de candidature, qui sera déposé en 2022 ou 2023, inclura bien évidement tous les gantiers français, implantés à Millau, mais aussi à Saint-Junien ou à Grenoble. Cette candidature française pourrait aussi devenir bi-nationale et associer l’Ethiopie, grand spécialiste de l’agneau de race métis. Le dossier s’accompagne enfin d’un certain nombre de mesures de sauvegarde, prévues pour être mises en place progressivement. Certaines sont liées à la formation, avec le projet d’une école – alors que la transmission ne se fait que de manière formelle. D’autres s’attachent à l’éducation de la jeunesse. D’autres encore se veulent solidaires, avec des opérations à caractère économique et social auprès de personnes fragilisées. Il est envisagé de développer un tourisme durable (route des gantiers, chasse au trésor). Sans oublier la partie événementielle : colloques (dès avril 2021 à la Manufacture des Gobelins puis, à Millau, l’automne suivant), veillées des gantiers, festivités de Sainte-Anne, sainte-patronne des gantiers et des mégissiers… Toutes ces fêtes, rituels et pratiques sociales liées à la peau et au gant seront placés au coeur des mesures de sauvegarde.
Dans cette vaste opération de séduction, Olivier Fabre et Nadia Bédar, directrice de candidature, ne sont pas seuls, un certain nombre d’élus se sont aussi engagés dans l’aventure, du maire de Millau au président de communauté de communes Millau Grands-Causses, en passant par le sénateur, le député, le président du conseil départemental de l’Aveyron et le Ministère de la culture. Tous se sont donnés pour mission de représenter une filière et de mettre en lumière l’expertise des praticiens détenteurs des savoir-faire liés à la ganterie du pays de Millau.