Une révolution horlogère ? Pas nécessairement, mais probablement l’une des plus belles avancées dans la construction d’une montre automatique depuis quelques années, signée Frédérique Constant.
Par Olivier Müller
C’est un fait connu mais rien n’y fait : le moteur d’une voiture thermique est incapable d’obtenir un rendement qui dépasse, dans l’immense majorité des cas, 30 %. En d’autres termes, 70 % du produit de la combustion du carburant est dissipé sans produire le moindre effet. Une aberration énergétique qui s’est pourtant imposée.
En horlogerie, un mouvement à ancre suisse fonctionne peu ou prou selon les mêmes valeurs : les deux tiers de l’énergie fournie par le barillet se perdent en frottements et frictions avant de pouvoir faire bouger la moindre aiguille. Pour un procédé dont les bases ont été il y a plus de deux siècles, c’est un rendement particulièrement exécrable. Pourquoi perdure-t-il ? Le poids des habitudes, du marché, d’un procédé rentabilisé à l’extrême, et parce que l’on n’aurait rien trouvé de mieux à produire à grande échelle. Jusqu’à aujourd’hui ?
Frédérique Constant répond par l’affirmative. En jeu : l’échappement. C’est la « boîte de vitesse » d’un mouvement mécanique, celui chargé de recevoir l’énergie du barillet et de la « découper » en période de 60 minutes, 60 secondes, etc. Cet échappement dit « à ancre suisse », celle dont on entend le « tic tac » est un gouffre à énergie. Il est sensible aux chocs, à la friction de l’air, et perd énormément d’énergie au fil de la vingtaine de composants qui le constituent. En somme c’est, lui aussi, une aberration énergétique.
Tout l’enjeu est donc de réduire ce nombre de composants. Frédérique Constant est allé à l’extrême : de 26 composants habituels, la marque l’a réduit à un seul. Il est réalisé en silicium et donc insensible aux variations de températures. Il bat à une fréquence dix fois supérieure à la moyenne : 40 Hz au lieu de 4 Hz pour un échappement traditionnel.
Théoriquement, cette très haute fréquence aurait dû entraîner une surconsommation massive d’énergie. Ce n’est pas le cas ici : l’échappement monobloc de Frédérique Constant n’ayant pas d’autre composant à mouvoir que lui-même, qui plus est selon un angle de rotation extrêmement faible (6° contre 300° habituellement), presque 100 % de l’énergie qu’il reçoit lui est dédiée, d’où une réserve de marche portée à 80 heures. Cette durée était fréquemment atteinte dans des mouvements mécaniques traditionnels mais cette première itération du « Monolithic » de Frédérique Constant pourra probablement être optimisée et gagner de nombreuses heures supplémentaires de réserve de marche au fil de ses prochains développements.
Pourtant, la prouesse technique ne vient pas seule : Frédérique Constant est d’ores et déjà en mesure de produire, en petit volume et à bas prix, son innovation. La version acier s’offre à moins de 5 000 euros. On est loin, très loin, des concepts approchants dévoilés récemment notamment par Zenith (Defy Inventor), cadencée à 18 Hz pour 50 h de réserve de marche, à 17 600 euros…et qui peine à dépasser l’état de montre concept.
Notre avis : “Supprimer l’échappement à ancre suisse est un vieux défi que les horlogers relèvent de temps à autres. Zenith et TAG Heuer ont ouvert de belles voies, Parmigiani Fleurier non loin derrière, mais la plupart de leurs réalisations butent sur l’industrialisation. Que Frédérique Constant y parvienne, et à moins de 5 000 euros, constitue une réalisation majeure. Le procédé devra être éprouvé à grande échelle car, pour le moment, un peu plus de 1 600 pièces sont lancées en production. Il faudra également susciter l’adhésion du grand public. Celui de l’horlogerie est passablement conservateur. Au passif, les collectionneurs perdront la beauté d’un échappement traditionnel, et le « tic tac » qui le caractérisait. A l’actif, ils gagneront un mouvement d’aiguille des secondes parfaitement linéaire, tel que seul Grand Seiko savait en faire avec son Spring Drive. Ainsi que le plaisir de porter au poignet ce qui constitue peut-être l’avenir de l’horlogerie.”