La famille Hubert dirige les Vergers de la Morinière, installés au sud du pays d’Auge, où elle cultive sa passion pour la pomme et le calvados depuis cinq générations.
Par François Tauriac
Il y a des adrets sur cette belle terre Normande où l’on jurerait que le Créateur a fait travailler ses meilleurs architectes, afin qu’ils réunissent en un seul lieu toutes les merveilles les plus admirables de la nature. Dans la vallée de la Dive, non loin de la Touques, au sud du pays d’Auge, entre Chambois et Vimoutiers, le bocage, au printemps, est un jardin d’Eden. Un oasis d’Empyrée. Un bouquet sauvage de verdures généreuses, gorgées de sève et de beautés fertiles. C’est là qu’entre coudraies et forêts, coteaux et rivières limoneuses, livarot et camembert, la famille Hubert cultive sa passion pour la pomme et le calvados depuis cinq générations.
Installée en 1855 – comme un grand cru classé de Normandie – au charmant lieu-dit de la Moriniere, dans le petit village de La Fresnaie-Fayel qui déroule les lacets de son bourg, étiré comme un jour sans pain, la famille a colonisé pas moins de 60 hectares de ce terroir ornais presque luxuriant pour faire fructifier sa coupable industrie. « Il y a 45 variétés de fruits dans nos vergers », explique Astrid Hubert qui surveille sur ses pommiers et ses poiriers comme le lait sur le feu depuis que son père, Michel, lui a remis les clefs de la maison de brique rouge en 2008. Précisément, « 40 hectares d’arbres haute tige, et 20 hectares de basse tige expansif. »
Ici les pommes douces amères – binet rouge, la pillée, rangée – oscillent entre sucre et acidité, amertume et parfums. Les amères – fréquin rouge, mettais, domaine -, riches en tannins, donnent du corps et la si belle couleur caramel au jus. Il y a enfin les douces – doux veret de Carrouges, germaine, rouge duret – plus sucrées et parfumées qui arrondissent le nectar pendant que les acidulées – Rambault, Petit Jaune, René Martin – achèvent d’affiner le final du goût avec leur pointe de fraîcheur. C’est l’assemblage de ces grands crus de pomme, cultivées bio, qui fait la qualité du jus. La remontée du terroir. « Les techniques de transformation, modernisées depuis l’acquisition de matériel de type vinicole, favorisent aussi l’expression de la qualité des fruits, précise Astrid, avec notamment le cuvage de la pulpe, la clarification naturelle des jus, la fermentation alcoolique lente et la prise de mousse en bouteille. »
Mais le secret de Rodolphe et Astrid Hubert, c’est aussi le tour de main. Ce mélange de techniques perpétué depuis des siècles et surtout de savoir-faire. Quand le nectar est tiré, on est prêt à travailler le calvados. Celui de la famille est un AOC d’Auge. Et n’a donc qu’un lointain cousinage avec celui du Domfrontais. « D’abord, il n’y a pas de poire dans notre eau de vie, explique Astrid, ensuite, notre technique de distillation est différente. » Elle fait appel à un alambic à repasse. « C’est mon père qui l’avait acheté d’occasion en 1996. Le précédent était à mon grand-père et datait de la guerre. La première chauffe est effectuée à partir d’un cidre vieilli un an en foudre. Elle élimine les composants peu intéressants et récupère alors un alcool à 32%. La deuxième passe sort un distillat encore plus pur et parfait dont on retire la tête et les queues. » Reste alors à prier pour que l’alchimie intervienne une nouvelle fois lors de la transformation en fût. Là-dessus, pas grand-chose à craindre. Ceux des Hubert sont en chêne. Certains même datent de 1944, en bois français comme le veut l’appellation.
Tout est alors prêt pour que le miracle se reproduise comme chaque année depuis le XVIIIème siècle. Là, sous le solivage des caves de la propriété élevées en 1928, intervient la magie mystérieuse du vieillissement. Où l’eau de vie, au contact du chêne et de l’air, va transfigurer peu à peu le cidre en un spiritueux tannique subtil et raffiné. Développant au passage ses arômes exclusifs. Passant du doré à l’ambré. Du puissant au souverain. De l’élégant au précieux. Et l’on pense alors, les yeux fermés à la dégustation, à tous ces gestes ancestraux qu’il a fallu reproduire patiemment pour en arriver là. A tous ces goûts aussi qui se précipitent sur nos papilles, comme des morts de faim. Toutes ces saveurs insensées, presque magiques qui explosent en bouche : les fruits compotés, les arômes boisés, les notes épicées… Et l’on se dit qu’à force d’avoir alimenté toutes ces années les cieux avec « la part des anges », les dieux leur ont rendu leur offrande en transformant leur calvados en nectar divin.