Il y a un siècle exactement, Emile Prunier donnait naissance au premier caviar français. La maison, symbole d’excellence et d’art de vivre à la française, continue à porter haut les couleurs du caviar français dont elle demeure l’acteur majeur.
Par Romain Rivière
Il fallait de l’audace, un esprit visionnaire et peut-être un peu de chance pour donner naissance au premier caviar français. Emile Prunier avait les trois lorsqu’en 1920, il sert pour la première fois au sein de son restaurant parisien un caviar d’esturgeon pêché la veille… dans la Gironde.
Tout commence en 1898, lorsque le jeune homme récupère l’affaire familiale à la suite du décès de son père Alfred Prunier, à 49 ans. A 22 ans, Emile Prunier se retrouve à la tête du restaurant parisien fondé par ses parents place de la Madeleine, et qui figure déjà, depuis quelques années, parmi les lieux qui comptent auprès de la haute société. Particulièrement prisé des membres de la cour impériale de Russie, l’établissement s’est rapidement spécialisé dans le caviar russe. En quelques années, porté par un esprit ingénieux et innovant, Emile Prunier fait de l’entreprise un véritable empire des produits de la mer : la maison Prunier dispose de ses propres chalutiers et parcs à huîtres, et emploie plus de 600 coursiers livrant directement à domicile la clientèle la plus exigeante. Fournisseur attitré en poissons, huîtres et caviar de nombreux hôtels et restaurants en Europe, Prunier domine son monde.
Au début du XXe siècle, le caviar occupe encore une place de choix à la carte du restaurant parisien d’Emile Prunier, mais la guerre de 1914, rapidement, fait cesser les exportations de caviar russe dont l’Allemagne est alors l’importateur exclusif. Profitant de l’incapacité des entreprises allemandes à satisfaire les nouvelles exigences imposées par l’Union Soviétique, Emile Prunier négocie dès la fin de la guerre l’exclusivité de la distribution mondiale du caviar russe, faisant ainsi de Paris la première place mondiale de ce produit d’exception. Parallèlement, le chef d’entreprise est informé par un habitué du restaurant, Monsieur Blanc, de la présence d’esturgeons dans la Gironde et ses affluents, la Garonne et la Dordogne. Mais, d’après l’habitué, ils sont pêchés par les seuls pêcheurs locaux les plus aguerris, lesquels se débarrassent des oeufs après la pêche. Stupéfait, Emile Prunier, avec l’aide d’un ancien capitaine de cuirassiers blancs de la garde du Tsar réfugié à Bordeaux et fin connaisseur du caviar, lance dans la foulée la première production française de caviar : il fait construire 9 stations de production et d’exploitation autour de quelques villages de pêcheurs, et installe une unité d’expédition à Saint-Seurin-d’Uzet. Ainsi équipé, il devient non seulement le seul restaurateur au monde capable de servir sur ses tables des oeufs d’esturgeons pêchés la veille, mais aussi le premier producteur de caviar français. C’est le début, pour la maison, d’une nouvelle étape de son développement et de son rayonnement international.
Ce rôle majeur dans ce microcosme du caviar français – considéré comme l’un des meilleurs au monde -, Prunier le joue encore aujourd’hui. En produisant 17 tonnes par an de caviar par an sur une marché qui en produit 40 tonnes, l’entreprise en demeure le fer de lance. Elle s’appuie pour cela sur sa manufacture installée non loin de Bordeaux, à Montpon-Ménestérol. Prunier y perpétue un savoir-faire hérité d’un siècle de pratique. Depuis les années 90, la manufacture Prunier articule son élevage autour de la pisciculture. Elle y élève l’acipenser baerii, un esturgeon sibérien capable d’atteindre trois mètres de longueur et de peser plusieurs centaines de kilos. Particulièrement adapté à la captivité, cet esturgeon, élevé avec une eau et une alimentation répondant aux meilleurs critères de qualité, donne son caviar après 8 ans de croissance.
Dans les vastes bassins de la manufacture, des milliers d’esturgeons vivent en plein air et font l’objet d’un suivi strict tout au long de l’année. A sa maturité, la femelle passe une échographie permettant de vérifier que la taille de ses oeufs demeure conforme aux standards de la maison. Une fois récupérés, les oeufs sont ensuite lavés en eau pure dans plusieurs bains successifs, puis égouttés et salés selon un savoir-faire développé sous la direction d’Emile Prunier il y a cent ans. Vient l’étape de la mise en boîte, dans laquelle le caviar, à l’instar du vin, va continuer à développer ses arômes et sa texture pendant plus d’un an.