Créé avec l’ambition de faire découvrir au plus grand nombre le trésor méconnu de la musique sacrée, riche de quinze siècles de compositions, l’ensemble des Chantres de Paris, qui s’est donné pour la première fois dans la capitale en 2019, prépare l’enregistrement d’un premier disque et une production originale à l’occasion du 1 600e anniversaire de la patronne de Paris, sainte Geneviève, en 2020.
Par Alice d’Intheville
Le pari était ambitieux. Remplir la basilique sainte Clotilde, dans le VIIe arrondissement, pour ce qui constituait son premier concert parisien. Ce 19 janvier 2019, avec près de 500 personnes venues l’écouter dans ce somptueux édifice élevé au rang de basilique à la fin du XIXe siècle, l’ensemble Les Chantres de Paris avait de quoi se réjouir. D’autant que le programme, De Profundis : des ténèbres à la lumière, n’avait a priori pas l’attrait d’un grand Te Deum ou d’un Requiem de Mozart. Ce jour-là, il s’agissait plutôt d’un voyage initiatique pour le moins singulier, articulé autour de pièces vocales et d’orgue faisant écho au chant grégorien et au faux-bourdon du compositeur estonien Arvo Pärt, né en 1935, et jalonné par le rituel de la messe des défunts. “Du doute à l’espérance, de la crainte à la confiance, ce programme emmène l’auditeur à la rencontre des émotions paradoxales que suscite l’évocation de la mort”, explique Damien Rivière, ténor et directeur artistique des Chantres de Paris.
Conçu comme une méditation sur la mort, le concert s’ouvre sur le cri de confiance dans la détresse de la mort, celui du psaume 129 : de profundis clamávi ad te, Dómine. Les auditeurs sont plongés dans la pénombre, tandis que les chanteurs, cierge à la main, se rendent en procession aux portes de la basilique. L’antienne grégorienne si iniquitates soutient ce rite, qui est celui de la levée du corps défunt sur le chemin de l’église. Pari intervallo, marche funèbre composée à la mémoire d’un ami décédé peu de temps auparavant, est l’une des premières oeuvres de style tintinnabuli – à la manière des cloches – d’Arvo Pärt. Aux deux lignes mélodiques évoquant la chair, la terre et la mortalité, sont associées deux lignes tintinnabulaires suggérant l’esprit, le paradis et l’éternité. Indépendantes mais en harmonie rythmique, elles partagent le même espace, tels le corps et l’esprit. Pendant que retentit l’orgue, sous les doigts affûtés de Johann Vexo, organiste titulaire à Notre-Dame de Paris, les chanteurs remontent la nef.
Suivent requiem aeternam, l’introït de la messe des morts, et le kyrie, appel pressant à la miséricorde divine, dont la pièce, mise en polyphonie dans le plus pur style du faux-bourdon, alterne ici en duos et quators le thème grégorien de la messe des défunts. Peu à peu, la lumière se fait ; l’église, crescendo, s’éclaire, tandis que l’espérance de l’in paradisum succède aux cris et aux supplications. Vient le temps de la berceuse, kuss kuss kalike, pour orgue et deux voix. “La vie continue et chacun peut reprendre son chemin”, raconte le directeur artistique des Chantres de Paris.
Créé en 2016 pour faire découvrir le patrimoine considérable de la musique sacrée, riche de quinze siècles de compositions dont le sens et la richesse artistique et spirituelle demeurent méconnus du grand public, l’ensemble Les Chantres de Paris s’affranchit de la simple performance esthétique et cherche également à faire vivre une expérience spirituelle. “Nous voulons emmener nos contemporains dans un monde symbolique touchant aux racines de notre humanité. Nous croyons que le mélomane averti comme le néophyte peuvent être saisis par la joie exprimée dans la Missa cum jubilo de Duruflé ou méditer sur la mort avec De profundis“, selon son directeur artistique. “Notre volonté n’est pas d’utiliser la musique ancienne pour la mettre en vitrine, mais pour la mettre en perspective.” Ses programmes, faisant dialoguer les oeuvres des plus grands compositeurs avec le chant grégorien et le faux-bourdon, s’appuient sur le savoir-faire de chanteurs professionnels, tous solistes reconnus évoluant à la Bastille comme à la Scala de Milan, qui se réunissent “pour une aventure musicale transcendant les spécialités pour retrouver l’âme et le sens de la musique dans ce qu’elle a de plus sacré, donc de plus universel”, explique Damien Rivière. Pour composer cet ensemble d’exception, le ténor, spécialiste de la musique liturgique, fait ainsi appel à des chanteurs d’horizons différents – opéra, récital, musique ancienne, etc. – qui, ensemble, donnent une formidable profondeur et une authenticité rare à l’interprétation.
Tout en préparant l’enregistrement d’un premier disque prévu pour 2021 autour de son premier programme, Cum jubilo – ce concert sera également donné à Granville le 15 août à l’occasion du Festival Mission on the Roc et à Vire le 10 octobre au Festival Vespérales -, l’ensemble travaille à l’élaboration d’un nouveau programme autour de saint François d’Assise, qui inspire depuis neuf siècles nombre d’artistes peintres, écrivains ou musiciens. Dans une démarche originale, Les Chantres de Paris souhaitent raconter son histoire à travers le dialogue de textes de la tradition franciscaine, de chants populaires du Moyen-Age – Lauradio di cortona -, de chant grégorien, des “Quatre petites prières à saint François” et de mélodies de Francis Poulenc. En cinq tableaux, la vie du pauvre d’Assise sera retracée. D’ici là, l’ensemble retrouvera la Capitale le 9 octobre prochain, sur l’esplanade des Invalides, pour l’événement organisé par le diocèse et la ville de Paris, Geneviève en Seine, à l’occasion du 1 600e anniversaire de sainte Geneviève, patronne de Paris. L’ensemble y produira un spectacle original et hors du temps, mis en scène par Yves Beaunesme et avec Jean-Claude Drouot.
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