Installée en Provence la manufacture lainière familiale Brun de Vian-Tiran perpétue un savoir-faire séculaire de plus de deux siècles. Elle sélectionne les fibres rares et les transforme en étoffe précieuses. Reportage.
Par Carine Loeillet
« Transmettre, ce n’est pas simplement passer le relais. On ne transmet pas sans une invention ou une transformation profonde. » Ainsi s’exprime la huitième génération à la tête de l’entreprise familiale Brun de Vian-Tiran, représentée par Jean-Louis Brun, qui codirige l’entreprise provençale avec son père Pierre. « Transmettre, ce n’est pas non plus figer, poursuit Jean-Louis Brun. La tradition, ce n’est pas faire comme avant. La laine elle-même doit être transformée, révélée. Il s’agit de traduire, interpréter, à la manière d’un pianiste devant une partition. »
Le patronyme Brun de Vian-Tiran est l’association de trois familles, trois entreprises lainières installées à l’Isle-sur-la-Sorgue, ville qui représentait jadis le terminal de la route de la soie. Cent-dix ans plus tard, cette manufacture unique en son genre conserve l’héritage familial et les savoir-faire traditionnels mais aussi, cette particularité qui fait qu’elle possède toujours un coup d’avance sur ses confrères : la quête de l’exceptionnel, le culte de la rareté.
Des produits de luxe certes, mais surtout par le soin qui a été porté à leur élaboration. « Les fibres sont toutes différentes, nous sommes face aux singularités de la nature et notre rôle est de les transformer », explique Jean-Louis Brun. De formation ingénieur AgroParisTech et oenologue, puis titulaire d’un doctorat en sciences cognitives, il a choisi de rejoindre son père Pierre à la tête de l’entreprise familiale. Un duo d’une élégance rare, capable aussi de déplacer des montagnes. C’est au prix de sept années de recherche et de 30 ans de collaboration avec les éleveurs de la région que Pierre Brun a fait renaître le Mérinos d’Arles Antique, l’une des plus belles laines de France. C’est aussi lui qui, en 20 ans, a mis au point un chardon métallique exclusif pour remplacer le chardon naturel, devenu introuvable. Un chardon indispensable à la dernière étape de fabrication de la célèbre couverture Mohair, inventée par le père de Pierre dans les années 1960 et toujours sans équivalent.
Après un tel héritage, Jean-Louis a creusé son sillon en privilégiant la recherche des fibres nobles et toisons rares en provenance d’une vingtaine de régions du globe : cachemire, cashgora, alpaca, chameau, mohair, lama, yack, yangir. Il s’est même rendu en Mongolie, dans la steppe de Khomyn Tal, pour en rapporter une laine de bébés chameaux à la finesse et au toucher uniques.
Jean-Louis Brun est aussi à l’initiative du musée La Filaventure, inauguré en juillet 2018 à l’Isle-sur-la-Sorgue et qui met en scène ces fibres nobles auprès du grand public. Installé dans une aile des bâtiments de la manufacture et conçu par l’agence Abaque, le musée surplombe la première boutique Brun de Vian-Tiran, agencée par le duo de stylistes Elizabeth Leriche et Muriel Vidaillac.
A toutes les étapes de transformation de ces bâtiments, père et fils ont veillé à chaque détail, de la même manière qu’ils ne laissent rien au hasard dans les ateliers. Ils connaissent sur le bout des doigts chacune des quinze étapes nécessaires à la fabrication d’une étoffe, qu’il s’agisse d’une couverture, d’une écharpe, d’un plaid ou d’un tapis.
La manufacture s’étale sur plus d’un hectare, au coeur de la ville. Près d’une cinquantaine d’artisans lainiers y oeuvrent pour transformer la fibre en étoffe : assemblage, ensimage, teinture, cardage, filature, bobinage, ourdissage, tissage, épincetage, foulonnage, lavage, chardonnage, rame, apprêts secs, confection.
Autant de métiers pour fabriquer un rectangle de tissu qui, finalement, prendra la forme qu’on voudra bien lui donner. « On vend seulement de la douceur », explique Pierre Brun. Tandis que pour son fils Jean-Louis, l’étoffe représente « un objet transitionnel qui possède deux faces : l’une pour le bien-être (pour soi), l’autre pour le paraître (la relation au monde). » En somme, un simple lainage pour nous rassurer dans notre relation au monde.