À quoi bon répéter éternellement les mêmes généralités sur cette voiture d’exception ? Pour séduire ceux d’entre vous qui, par hasard, ne la connaîtrait pas en détail ? Faire rentrer dans le club des happy few quelques soupirants transis ? Des rêveurs impénitents ? La Jaguar Type E est un fauve à apprivoiser d’urgence. Mais gare aux coups de griffes.
Par François Tauriac
Le web et les journaux regorgent de portraits décrivant avec brio les qualités et les spécificités de cette voiture mythique. Notre ambition n’est donc pas de répéter à l’envi les éternelles louanges que ce monstre sacré mérite, mais plutôt de mettre notre expérience au service de ceux qui sont en passe de franchir le pas. Toucher du doigt le saint Graal : acheter celle qui est indéniablement l’une des plus belle voiture du monde.
Il convient d’abord de savoir que la bête ne se laisse pas approcher par le premier venu. Une Type E, ça n’est pas qu’une simple fusée aux faux airs de symbole phallique géant. C’est d’abord une architecture unique et complexe. Il faut imaginer un œuf qu’on poserait sur sa partie la plus longue – l’habitacle – auquel on viendrait greffer un appareillage compliqué de tubes à sections carrés – le faux châssis avant – et qu’on coifferait d’un moteur, puis d’un capot de plus de deux mètres de long. A l’arrière, un bloc pont-freins embarqué serait fixé à la carrosserie par quatre sillent bloc en caoutchouc et attaché aux planchers arrières par deux tirants. C’est ça, une Type E ! Un chef d’œuvre de 4,45 mètres de long, tracté par un 6 cylindres 3.8 L ou 4.2 L double arbres à cames en tête de 264 chevaux SAE ou même un V12, 5.3 L de 272 chevaux, inaugurant des choix technologiques d’avant-garde. Le tout dessiné par le coup de crayon magique de Malcom Sawyer. Un ingénieur aéronautique qui fit pâlir d’envie Enzo Ferrari lorsqu’il découvrit son oeuvre en 1961 au salon de Genève et qui termina sa carrière chez Jaguar anobli par la reine. Yes Sir !
Tout ça pour dire que l’auto n’est pas simple à acheter. Surtout depuis l’augmentation des prix que l’on connait. Deux solutions s’offrent donc à l’acquéreur. La première : en trouver une concours. Prix plein pot au dossier de restauration mal détaillé la plupart du temps. Sauf avec dossier historique photo et factures. C’est très rare. Un série 1 coupé 4.2 L – un FHC fixed head coupe, comme disent les pros, n’est pas touchable de nos jours en dessous de la fourchette des 60 à 120 000 euros. L’autre orientation est celle de la restauration. Un achat certes plus compliqué mais qui permet à l’acheteur de façonner le projet en fonction de ses désirs et de ses moyens et surtout d’accéder à son rêve. A l’étranger, et plus particulièrement aux Etats Unis, donc. Car il est possible de croiser encore des E autour des 30 000 euros. A ce prix-là, il ne faut pas rêver : ce seront des Série 2, 2+2 et série 3. Donc des empâtements longs, habitacles surélevés, phares cerclés, feux arrière bas et gros pare-chocs. Ces horribles et lourds appendices de protection que la norme US imposa au constructeur dans les années 70. Les moins pures, mais des Type E quand même.
Récemment nous avons trouvé un 2+2 en Californie, boite auto à restaurer pour moins de 30 000 euros. Voilà pour les first price. Pourquoi les USA ? Parce que 70 % des voitures fabriquées de 1950 à 1980 ont été vendue la bas. En faire rentrer une n’est pas difficile, et les importateurs proposant aux acquéreurs de les accompagner pour rapatrier leur belle sont légion.
Ou qu’on l’achète, la Type E doit montrer ses entrailles. La tour Eiffel ou treillis avant qui supporte le moteur doit être droit comme un I. Raide comme la justice. Cela parait bête, mais c’est le réglage du capot qui renseigne en partie sur la forme de la belle. L’interstice entre l’habitacle et le capot doit être régulier. Attention aux soudures du treillis du châssis avant. Il faut bien regarder sous les carburateurs. La traverse avant sous le radiateur est régulièrement déformée par les mécanos, peu scrupuleux, qui ont pris l’habitude de la monter sur cric à cet endroit. Les jeux dans les fusées de suspension doivent être testés sur cric. Idem pour les roulements de roues. Les points d’ancrage inférieurs de la tour Eiffel sont essentiels. Ils sont reliés à la caisse assurant sa rigidité. On en a vu, tellement corrodés, qu’ils flottaient dans le vide ! Quand le capot s’ouvre, il convient de regarder aussi vers les protections de phares souvent corrodées, sous les ailles aussi, car contrairement à une légende, le capot est composé de trois parties. A voir aussi, le compartiment batterie. Souvent les modèles US n’ont que 2 carburateurs Zenith Stromberg. Dépollution oblige. On trouve des carburateurs SU et des pipes d’admission adéquates, mais ils valent très cher en neuf.
Pour l’habitacle, les pontons doivent être étudiés. Ils rouillent souvent au niveau des jointures avec les montants de portes. Mais aussi au niveau des joints de bas de porte, ils sont souvent coupés à cet endroit. A la jointure des planchers aussi. Ce qui a pour effet de les rendre accessibles à l’eau. Là encore le réglage et l’alignement des portes s’avére un bon ou un mauvais signe. Faites jouer les charnières de porte vers le haut pour les tester. Ensuite les planchers : ils sont souvent écrasés par des montées de cric au niveau du fond du pédalier. C’est donc là qu’ils finissent par rouiller. Les planchers arrière sont aussi souvent défoncés ou corrodés. Ils sont essentiels car ils reçoivent les bras de fixation de l’ensemble pont arrière. Par chance, toutes ces pièces se trouvent en neuf. A l’arrière l’acheteur doit regarder les passages de roue, les amis de la rouille. Souvent mal réparés, la tôle de coffre qui abrite la roue de secours est souvent corrodée tout comme le dessous du réservoir ou la coque qui passe au-dessus des échappements. Pour le hayon arrière, le signe important est l’alignement et la facilité d’ouverture. Dans tous les cas, il convient de se munir d’un aimant de cuisine pour déterminer les zones mastiquées. Car les carrossiers américains ont découvert le marteau très récemment et sont des princes du body filler, choucroute en français.
Coté moteur, on regardera bien les numéros. On a vu beaucoup de moteur d’XJ6 montés dans les Type E dans les années 70 ou 80. Des Mark X ou des Mark 2. Quoiqu’en disent les propriétaires, demandez toujours à faire tourner les moteurs à froid au démarreur, même s’ils ne démarrent pas ou faites les tourner au cliquet et levier sur le volant moteur. Vérifier la pression d’huile impérativement à chaud et roulez la fenêtre ouverte à la décélération, les yeux dans le rétro, pour détecter d’éventuelles fumées bleues. Voilà pour les basics. Lorsque vous en serez là, vous aurez une vue un peu plus dégagée de la bête. Qu’on se rassure : tout existe en pièces d’occasion ou en re-fabrication. Et a tous les prix, exemple : une pompe à essence d’origine se paye autour d’une centaine d’euros. On en trouve de très bonnes à 15 euros de style Facett. Un plancher de coffre neuf complets se négocie dans les 350 euros. Un ¼ plancher avant dans les 100 euros. En moteur, on trouve des culasses à 300 euros – par chance c’est la même référence que les Mark 2, S-Type, 420 -, des collecteurs d’échappement à 300 euros d’occasion – 500 euros en big bore neuf -, etc. Des jeux de 6 pistons à partir de 300 euros. Des roues fil de toutes qualités, du freinage d’origine et upgrade, des enveloppes de siège neuves de très bonne qualité. Dans tous les cas, dites-vous que vous avez touché la plus belle voiture du monde. Vous avez donc tout votre temps pour la restaurer. Et aussi tout votre argent.
Quelques adresses : Eliandre automobile, 47 rue Laugier 75017 Paris, tél. : 06.11.01.21.31 et www.eliandre-auto.com ; SNG Barrat pièces Jaguar, 03.85.20.14.20 et www.sngbarrat.com.