Dans les arts de la table, il existe des maisons qui bouleversent avec audace et bonheur les codes traditionnels de la création, et ouvrent ainsi la porcelaine et la faïence à des regards neufs.
Par Sophie Lamigeon
Bâtir des passerelles entre arts de la table et nouveaux horizons créatifs, voilà le défi de trois maisons singulières : Non Sans Raison, Maison Fragile et Faïencerie Georges. Chacune à leur manière offrent des créations décomplexées, inventives, décalées, qui bouleversent l’univers de la table et investissent la décoration.
Fondée en 2008, Non Sans Raison bouscule les codes classiques de la porcelaine de Limoges, dans le plus grand respect de cette industrie d’art ancienne. Fraîchement diplômés de l’Ecole Supérieure des Arts et Techniques de la Mode, Bertille Carpentier et Martial Dumas ont créé cette audacieuse maison d’édition pour sensibiliser un public jeune avec des collections de table et des objets design qui stimulent l’expérience visuelle. Non Sans Raison sort la porcelaine des sentiers battus pour la faire évoluer entre table et tableau. Comme un jeu sans fin, ces collections très graphiques proposent de multiples combinaisons qui racontent leur propre histoire.
Avec Perspectives, les mécanismes de pensée traditionnels d’un service sont en effet interrompus pour laisser place à des mélanges subtiles et inédits. Chacun peut ainsi créer son propre scénario du repas. Et toujours dans le respect de techniques ancestrales : « Fidèles à des convictions d’éthique et de qualité, toutes nos pièces sont fabriquées en France à Limoges, avec des matières premières de haute qualité. Nos créations sont artisanales et bénéficient d’un fait main des plus talentueux, d’un dosage des métaux précieux, d’un sens du détail, de températures idéales et de finitions soignées. Elles sont d’une extrême finesse, d’une légèreté et d’une translucidité unique », raconte-t-on là-bas. La collection Renaissance se pare d’un collage aléatoire et unique de motifs recyclés et ultra modernes sur chaque assiette. « Renaissance redonne ainsi une vie à des motifs existants dans nos collections pour ne pas laisser place au gaspillage dans nos ateliers. Elle engage toujours un peu plus Non Sans Raison dans une nouvelle ère éthique, créative et responsable ». La maison prévoit d’ouvrir sa première boutique à Limoges en décembre 2020.
Maison Fragile mixe avec impertinence un artisanat d’excellence avec un souffle nouveau apporté par des artistes très « French Touch ». Renouant avec son histoire familiale liée à la porcelaine, délaissée un temps pour la communication, Mary Castel a fondé sa société en 2017. Le Palais de l’Elysée, séduit par cette petite entreprise revendiquant le made in France, est l’un de ses tous premiers clients. « Redonner le goût des belles choses aux nouvelles générations », c’est l’objectif que la jeune femme s’est fixée : « Nous voulons revisiter les arts de la table pour magnifier les instants éphémères, remettre à l’honneur la créativité. » Ses collaborations originales avec des artistes bien ancrés dans leur époque, aussi audacieuses que subtiles, réveillent et modernisent le service de porcelaine : le plasticien Etienne Bardelli, le calligraphe Nicolas Ouchenir, les illustratrices Vaïnui de Castelbajac et Safia Ouares, la photographe Sonia Sieff -qui réalise avec Maison Fragile la collection sensuelle Les Françaises… Jusqu’au chef triplement étoilé Alain Passard, qui signe la collection Dame Nature.
Pour la collection Chers Parisiens, l’artiste illustrateur Jean-Michel Tixier s’est amusé à croquer des figures de la vie parisienne : après Serge Gainsbourg, Yves Saint-Laurent et même Marie-Antoinette, c’est Marcel Proust qu’il sublime dans sa pose légendaire, portant sa symbolique madeleine sur sa cravate glitter or. Avec Couture, l’illustrateur rend hommage aux couturiers, stylistes et artisans d’art au travers d’une femme libre et anticonformiste qui s’affranchit des carcans. Ces collections sont réalisées en porcelaine fine. Les filets des dessins sont en or 24 carats, peints à la main par des artisans hautement qualifiés. En parallèle de son activité, Mary Castel apporte son soutien aux personnes fragiles en organisant des ventes dont les bénéfices sont reversés au Reflet, restaurant associatif qui intègre de jeunes adultes trisomiques.
Leurs assiettes sont des illustrations poétiques. Carole Georges et Jean-François Dumont dirigent depuis 2010 la manufacture fondée à Nevers en 1898, la Faïencerie Georges. Agitateurs d’idées, ils donnent une nouvelle dimension à leur héritage : « Faïencerie Georges s’amuse à dessiner sur ces objets une anthologie du quotidien, instants suspendus et situations inattendus, qui illustrent avec poésie une vision spontanée de la vie ». Au gré de rencontres ou de promenades, ils ont forgé leur univers d’objets de table et de décoration, grâce à un savoir-faire ancestral adapté à l’exigence d’usages contemporains. Leurs pièces de belle facture, en faïence rendue plus résistante, sont peintes à la main sur émail cru. Ludiques, elles sont illustrées de scènes inspirées de la vie quotidienne : skieurs dévalant les pistes, baigneurs à la plage, bâtiments industriels, animaux… Avec comme signes distinctifs, des jeux de matière, des nuances dans les couleurs.
Assiettes peintes à la main en série limitée numérotée pour la décoration, services d’art de la table… A la demande du Chef multi-étoilé Alain Ducasse, Faïencerie Georges a réalisé des collections d’assiettes pour son restaurant Esterre à Tokyo et pour son nouveau Bistrot Benoît à Kyoto. Entreprise labellisée du Patrimoine Vivant, membre d’Ateliers d’Art de France, Faïencerie Georges raconte avec fantaisie et humour une histoire contemporaine qui apporte de la modernité aux arts la table.