Tels des naufragés accrochés à leurs derniers débris de bonheur et de passion, nous continuons à nous complaire désespérément dans les odeurs de carburation et les vapeurs d’essence. On ne se refait pas. En témoigne l’apologie d’un des plus beaux cabriolets V8 de l’histoire Mercedes, encore trop méconnu : le 500 SL.
Par François Tauriac
Il ne reste guère de solutions faciles d’accès pour voyager sans toit, et accessoirement en V8, à moindre coût. Plus guère non plus d’opportunités de trouver un vrai gros moteur en youngtimer accessible. Justement, chez Mercedes, on ne manque pas de blocs mythiques. Il y a bien sur le SLK 200 et 230, mais sans faire preuve d’ostracisme aucun, on est là sur un 4 cylindres compressé et une esthétique trop trapue à notre goût. Pas notre dada. Le 500 SL (type R129) représente donc, à nos yeux, le meilleur compromis jamais proposé par la marque à l’étoile. Jetons un voile pudique sur le 6 cylindres en ligne 12 et 24 soupapes proposé également sur ce roadster. Sans être un mauvais bloc, comme le V6 qui lui a succédé, il n’a jamais été à la hauteur de la masse – 1,8 tonnes – du véhicule. Et puis, quand on a essayé un V8 de 5 litres, on peut difficilement oublier son couple phénoménal et ses mélodieuses montées en puissance. Nous aurions pu aussi opter pour le V12 du 600 SL, mais le bloc de 6 litres, s’il est plus puissant de 60 ch., est bien plus lourd et manque cruellement de fiabilité. Donc le V8 Mercedes est un monstre indestructible. Et pour peu qu’on sache l’entretenir correctement, il peut parcourir 400 000 km.
Mais ne nous aveuglons pas dans les vapeurs matinales des démarrages à froid. Avant toute chose, le SL R129 est beau. Ce qui ne gâte rien. Normal, il est né sous le crayon magique de Bruno Sacco. Un italien dont la légende raconte qu’il décida de se lancer dans le design automobile après être tombé en pâmoison devant une Studebaker Starlight. Embauché chez Benz en 1958, il seconde alors le français Paul Bracq et travaille sur la Mercedes 600, le 230 SL Pagode et même la C111 – la voiture laboratoire de la marque allemande qui ressemble à la Maserati Bora – pour finir par son œuvre la plus marquante : le R129.
SL, ça veut dire Sport Leicht en allemand – sport léger. Autant l’appellation est méritée pour les premières SL 190, autant c’est un peu moins le cas sur le 500. Il faut dire que la voiture conçue en 1988 est, comme qui dirait, USA ready – prête pour le marché américain. Outre ses boucliers de pare-chocs enveloppants, ses gros clignotants, elle dispose d’une armada technique de sécurité qui n’allège pas l’ensemble. Air-bag, ceintures de sécurité intégrées aux sièges, arceau de sécurité avec déclenchement automatique en cas de tonneaux, entourage de pare-brise renforcé… Tout cela n’est pas bien grave, car nous roulons en V8 double arbre, 32 soupapes – 330 ch. Au risque de nous répéter, le moteur envoie du lourd. Les montées sont donc « tégévesque », malgré la boîte auto quatre vitesses léthargique, à n’utiliser qu’en mode sport – et dont la longévité dépendra des vidanges et des changements de crépine. Coté freinage, on n’est pas chez Porsche. Les mâchoires avants à 4 pistons remplissent leur office. Mais on ne peut pas en dire autant des minuscules disques arrières. Un peu short pour une auto capable d’atteindre les 250 km/h et qui hanta longtemps les autobahn allemandes. A cette vitesse, vous aurez deux gros freinages possibles. Le troisième risquant d’être un peu moins endurant. Idem pour l’éclairage, on est au minimum de l’admissible. La tenue de route est en revanche très bonne, pour une conduite GT bien sûr. Et si les aides électroniques fonctionnent encore, vous pourrez profiter de l’ASR, ainsi que de la suspension pilotée, parfois remplacée par un système conventionnel à ressorts.
Coté équipement, la voiture reste une pure Mercedes. A Stuttgart, on ne fabrique pas des chars pour la Techno Parade. On fait donc dans le sobre et l’efficace. Quelques inserts de bois sur le tableau de bord et toujours les célèbres hachures jaunes au compteur de vitesse à 60 km/h, comme dans les ascenseurs des porte-avions. A noter, une trappe déployante renfermant un ordinateur de bord à cristaux liquides. Ne jamais consulter la consommation à froid pour le moral. Elle dépasse les 30 litres, puis revient lentement autour des 12 ou 13 litres en conduisant avec un œuf sous la pédale de droite. La sono d’origine Becker – souvent changée pour des postes asiatiques multicolores aux éclairages insupportables oranges ou verts – fait bien grise mine. Qu’importe, la musique en 500, on va la chercher dans les nuages, les cheveux au vent, filet anti-remous baissé, avec un échappement inox, option obligatoire.
D’autant que la bête n’est pas un simple cabriolet pour les beaux jours. Elle sait quasiment tout faire. C’est un monstre de fiabilité et de puissance, aussi à l’aise dans les rues de Beverly Hills dans un épisode de Columbo que sur autoroute. Pas étonnant qu’elle ait régné sans partage jusqu’en 2001. Mais qu’on ne s’y méprenne pas pour autant, le R129 valait 710 000 francs à sa sortie en 1989 – 110 000 euros. Ce n’est donc pas une voiture facile. Même si elle a été fabriquée à plus de 200 000 exemplaires et qu’on trouve beaucoup de pièces d’occasion, le prix de certaines pièces neuves reste prohibitif. Optez donc pour un modèle bien entretenu. Gare au mécanisme de capote hyper technique, à l’injection Bosch K- tronic super coûteuse et parfois capricieuse, au boitier de direction à bille qui s’use en perdant de sa précision, aux échappements sensibles à la corrosion, aux pneus souvent en 16 pouces, rarement en dessous de 100 euros pièce – les chinoiseries du style Wanli et autre Nankang étant évidemment à proscrire. Et surtout, ne vous privez jamais du hard top. Ce dernier a été si bien conçu que le 500 SL sait se transformer, dès les premiers frimas, en coupé de luxe smooth et silencieux. Pour une cote de 18 à 22 000 euros, difficile de trouver pareil concentré de plaisir, d’autant que les premiers modèles peuvent bénéficier d’une carte grise de collection.