C’est au large des Philippines que Jewelmer produit, depuis 1979, une espère rare de perles de culture : la perle dorée des mers du sud. Reportage entre Manille et Palawan.
Par Romain Rivière
Quelques turbulences, à peine. Pas de quoi affoler l’ATR 42-500, qui vole depuis une heure et demie depuis Manille, en direction du sud-ouest des Philippines. L’appareil, dont l’aspect vieillissant peine à masquer un âge avancé, en a vu d’autres : ici, au large de l’archipel, le temps a ses humeurs ; le ciel bleu, en un instant, peut laisser la place aux vents les plus violents. Finalement, seul l’atterrissage sur l’aéroport El Nido, au nord de l’île de Palawan, s’est exécuté avec une certaine agressivité. Il faut dire que la piste est courte, 700 mètres à peine, et que son orientation face à la mer, cernée à l’est par les montagnes, oblige les pilotes à opérer l’approche et la finale à vue. Après deux rebondissements, le turbopropulseur ralentit enfin, avant de s’arrêter dans la foulée. Une sorte d’esplanade sablonneuse, où se disputent quelques mauvaises herbes, fait office de tarmac. Le terminal en bambou prend l’allure d’une cabane plantée au milieu d’une vaste végétation. A l’ouest, la mer s’étend à perte de vue. A l’est, les vallons de la longiligne Palawan s’étirent du nord au sud sur près de 300 kilomètres. Le calme règne. Les paillettes de la place Vendôme sont bien loin. Le contraste est saisissant. Et c’est ici que s’est implantée, en 1979, la société Jewelmer.
Fondée par l’ancien pilote de ligne breton Jacques Branellec, qui a longtemps exercé à Tahiti avant de se reconvertir dans la perliculture, Jewelmer produit une espèce rare : la perle dorée des mers du sud. Au fil des ans et de l’eau, et après dix années de recherche et d’essais de reproduction de l’huître Pinctada Maxima, seule espèce en mesure d’engendrer des perles à la nacre dorée, l’entreprise s’est bâtie un empire de 1 000 collaborateurs, capable de produire, chaque année, quelques centaines de milliers de perles. Parmi cette production, seule une infime partie est dédiée à la haute joaillerie. Entre 5 000 et 7 000 perles : les plus rondes, les plus grosses, les plus dorées, les plus brillantes. Celles-ci sont réservées de longs mois à l’avance par les grandes maisons, comme Cartier, Tiffany & Co ou encore Hermès. Et leurs prix dépassent parfois la centaine de milliers d’euros. Mais chaque fois, lors de la récolte, c’est la surprise. « D’une année sur l’autre, les productions varient. Nous ne savons jamais ce que la nature va nous réserver », explique Jaques-Christophe Branellec, le fils du fondateur et directeur de l’entreprise. Il faut dire que six à sept années de travail sont nécessaires au développement d’une perle.
Tout se passe sur l’une des fermes perlières, installées sur des petites îles de l’archipel. Terramar demeure la plus importante d’entre-elles. Entourée d’une eau turquoise, elle abrite 250 collaborateurs, vivant en communauté et en autarcie. L’essentiel de leur consommation – fruits, viandes, poissons – est produit sur place ; seules quelques milliers de tonnes de carburant sont livrées chaque année, afin de faire fonctionner les rares installations électriques et, surtout, les indispensables bateaux et hélicoptères demeurant les uniques possibilités de rejoindre les fermes. Là, vivent biologistes, plongeurs ou agents de sécurité, veillant au bon déroulement et à la discrétion des opérations, dont les procédés sont tenus secrets.
La complexité de la culture repose notamment sur la qualité des huîtres. Pour sélectionner les meilleurs éléments, les biologistes contrôlent quotidiennement, au sein de leur laboratoire, les mollusques dont ils gèrent la reproduction. Alimentation, température de l’eau : chaque détail compte, afin d’obtenir des huîtres aux lèvres dorées susceptibles de produire des perles parfaites. Ce travail de développement nécessite cinq années de travail. Vient ensuite l’étape de la culture de la perle, dont le début est marqué par la greffe du noyau, précédant deux à trois années de développement sous-marin. Mais l’affaire n’est pas simple : 400 étapes composent le procédé de développement de la perle, chacune d’elle influant sur la suivante, rendant le résultat tout à fait incertain. L’une des difficultés réside dans la culture effectuée en pleine mer, en eaux ouvertes. Qualité du plancton, température de l’eau ou violence des courants peuvent ainsi modifier la qualité de la perle. Un manque de protéine, par exemple, peut la rendre plus claire. Alors, quand sonne l’heure de l’extraction, la pression monte. « Cette étape, la dernière, est émouvante. Pour le biologiste, le moment s’apparente à celui que vit le chirurgien revoyant son patient quelques années après une opération », raconte Jacques-Christophe Branellec.
Pour optimiser ses chances de succès, l’entreprise mise sur l’implication de ses collaborateurs et sur un management reposant sur la confiance. Et le résultat est là, puisque, dans les familles de fermiers, les générations se succèdent.
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