En France il y a presque autant de marques de fromages que de sélectionneurs de l’équipe de football. Il n’y a pourtant qu’un camembert « Champ Secret ». Un fromage unique et rare. Fabriqué à l’ancienne avec amour et en très petite quantité. Le meilleur du monde pour les connaisseurs. Rencontre avec son créateur, esthète du goût et de la naturalité.
Par François Tauriac
C’est un petit village en Normandie. Un de ces lieux dit charmant comme il en existe tant dans l’Orne et en France. A une différence près pourtant. Dans les prés, jouxtant l’endroit, il y a des vaches. Ça peut paraitre incroyable, mais les ruminants sont désormais beaucoup plus rares à l’air libre que dans les pubs pour le fromage industriel. A la Novère, les vaches sont partout et paissent paisiblement. Normal, on est chez Patrick Mercier, le roi du Camembert Bio. Et du lait, on en produit ici depuis plusieurs générations.
Normand de souche, Patrick n’a jamais même vécu ailleurs que dans la ferme familiale entre Domfront et Bagnoles-de-L’orne. « Je n’avais pas une passion pour l’agriculture à mes débuts, confie-t-il caché derrière ses lunettes et ses sourcils blonds, mais j’aimais passionnément être en compagnie de mon père que j’admirais. » Par amour pour lui, il se lance dans la production laitière. Alors que Patrick n’a que vingt ans, son père décède d’une maladie foudroyante. Ebranlé au plus profond de son âme, il continue cependant à perpétuer les gestes qu’il lui a appris et qu’on lui a enseigné à l’école. « Mais c’est lors de la crise de la vache folle, en 1995, que j’ai pris conscience du problème. » Il découvre alors l’opacité de l’alimentation animale. « J’étais comme les autres, je ne savais pas ce que je donnais à manger à mes bêtes et je ne faisais que perpétuer la philosophie d’après-guerre : produire pour nourrir. »
Tétanisé par la crise internationale et les suicides chez les agriculteurs, vacillant sur ses certitudes, il décide alors d’emprunter un autre chemin. Il arrête donc de donner à manger de l’ensilage à ses bêtes, jugeant ce mélange d’herbe fermentée, de maïs, de tourteaux de soja et de colza déséquilibré. Puis il remet ses vaches au pré. Deux par hectare ! Lorsque la qualité de son lait bio s’améliore, il en parle à un ami. « Je rêvais de faire mon propre fromage au lait cru, je suis allé voir un fromager de chez Lactalis, il en existe des bons, plaisante-t-il. Il m’a présenté son père, fromager à la retraite. Avec lui, j’ai essayé de faire du Camembert fermier. » Au début, son lait étant presque trop riche, ses fromages ressemblent à des Livarots. Puis en dosant – 1,8 litre par galette – il parvient à sortir des Camemberts magnifiques. Des fromages épais et généreux, aux rebords ourlés et à la peau pigmentée et duveteuse. La Rolls des calendos. « Mais ça n’a pas été si facile, j’ai dû me battre contre les rieurs et les esprits formatés, les lobbys aussi. »
15 ans plus tard, le succès venu, encensé par les spécialistes et surtout par les gourmands, Patrick n’a pas perdu une once de son humilité. Pas un gramme de sa simplicité. Et surtout n’a jamais vendu son âme au diable. Malgré la demande, il ne produit que 700 fromages par jour pour 100 vaches, là où il pourrait en placer le triple. Un fromage AOP au lait cru hors pair. Une des raisons pour laquelle le « Champ Secret » n’est vendu que chez les fromagers, ou certains traiteurs, alors que les grands chefs désormais se l’arrachent. « Je suis un timide, avoue-t-il. Alors je ne connais pas le mensonge. J’aurais trop honte de tromper mon monde. » C’est pour cette raison que Mercier n’arrête jamais. Qu’il est tous les jours avec ses vaches, mais aussi au combat, comme un soldat de l’authentique qui lutte pieds a pieds pour conserver sa différence et les savoirs-faire passionnants de nos terroirs normands. Il ressemble à sa passion, il ne sait simplement pas mentir.
Y aller : A Dompierre, prendre la route entre les 2 restaurants. Faire 3 km
environ. Prendre à gauche, lieu-dit : La Novère. Suivre le chemin jusqu’au
bout. Vous êtes arrivés.