L’histoire de l’Orient Express est liée à la vision géniale de George Nagelbackers qui, dès la fin du XIXe siècle, s’active pour doter le transport ferroviaire du même luxe que celui que proposent déjà les plus beaux paquebots. Retour sur une aventure mythique.
Par Blanche Rivière
Plus de 130 ans après sa création, Orient Express reprend du service. Fin 2017, le groupe hôtelier Accor s’est invité au capital de la société Orient Express, détenue jusqu’à présent à 100 % par la SNCF, avec l’ambition de développer la marque dans le tourisme de prestige à l’international. Il faut dire que son nom, source de nombreux fantasmes, sonne aujourd’hui comme un mythe. Avec son décor parfait, créé par les meilleurs artisans de l’époque, l’Orient Express incarne l’âge d’or du voyage.
Peu avant 1870, l’industriel belge George Nagelmackers, issu de la haute aristocratie, découvre aux Etats-Unis les wagons-lits, conçus par l’américain George Pullman. Ceux-ci, bien que très avancés technologiquement, demeurent particulièrement inconfortables. Ce qui donne au belge, à son retour en Europe, l’idée de créer des trains de nuits luxueux destinés à une clientèle aisée. Il en a la conviction : il faut doter le transport ferroviaire du même luxe que le transport maritime qui dispose de magnifiques paquebots. Compte tenu des contraintes techniques, variant selon les pays, et des tensions géopolitiques du moment, George Nagelmackers retarde la création de sa compagnie qui voit finalement le jour en 1876 : la Compagnie Internationale des Wagons-Lits.
Le 4 octobre 1883, en début de soirée, l’Orient-Express quitte pour la première fois la gare de l’Est, à Paris, pour rejoindre Constantinople. Le trajet doit durer 81 heures : une prouesse ! Les villes desservies ont été savamment étudiées et le temps du voyage doit laisser beaucoup de place à la contemplation du paysage, même si la compagnie a prévu de multiples divertissements, tant à bord que lors des escales. Le train traverse d’abord Strasbourg, Munich, puis Vienne après avoir longé la vallée du Danube. De là, il gagne Budapest, Bucarest et enfin son terminus Varna, le port dominant la Mer Noire. Le port n’ayant pas de quai, ce sont des barques qui conduisent les voyageurs descendus du train à bord du paquebot qui doit les amener à Constantinople, où le tronçon de la ligne ne sera achevé qu’en 1889.
Luxe et confort sont au cœur des préoccupations de la compagnie. L’aménagement des voitures est incroyable. Les draps des lits sont changés quotidiennement. Les services et accessoires du train ont été confiés aux maisons les plus prestigieuses : Christofle et Ercuis pour l’argenterie, Baccarat et Saint-Louis pour la verrerie, Villeroy & Boch et Haviland pour la porcelaine, etc. Afin d’assurer la sécurité et le confort des voyageurs, George Nagelmackers a tenu à mettre en place l’intercommunication : de grands couloirs permettant de passer d’une voiture à une autre le plus simplement du monde. Cette jonction, permettant aux contrôleurs d’assurer la sécurité des voyageurs sujets à de trop nombreux vols, facilite également l’accès à la voiture restaurant : il s’agit d’un tournant majeur dans l’histoire des trains.
Un service inédit
Luxe ultime, l’entrepreneur belge a mis en place un système visionnaire de prise en charge de ses voyageurs avant même leur entrée en gare : il a ainsi créé un service d’enlèvement et de remise des bagages à domicile. Parallèlement, chaque voiture est dotée d’un domestique, chargé d’en assurer le service intérieur. En 1891, dans le souci d’offrir à ses clients la meilleure prestation à destination, la Compagnie Internationale des Wagons-Lits crée un palace à Lisbonne, l’Advenida Palace. Deux ans plus tard, elle ouvre le Grand Hôtel International de Brindisi et le Riviera Palace de Nice. La Compagnie Internationale des Grands Hôtels voit ainsi le jour et s’impose comme la première chaîne hôtelière d’Europe. Peu avant 1900, le dynamique fondateur lance un journal hebdomadaire, le Transcontinental, distribué gratuitement dans les voitures ou disponible sur abonnement à raison de vingt francs par an. La compagnie y publie des écrivains célèbres, à l’instar de Léon Toltoï.
Le succès de l’Orient Express est tel qu’il entraine la multiplication des trains. Près de 50 voient le jour, sillonnant l’Europe, l’Afrique et l’Orient. En 1891, treize ans après le voyage d’étude effectué par George Nagelmackers en Russie, le tsar Alexandre III signe le décret lançant la construction du Transsibérien. Ce succès, s’il doit beaucoup à George Nagelmackers, incombe également au roi des belges, Léopold II : le souverain, en effet, a beaucoup investi au capital de la compagnie afin de soutenir l’entrepreneur et s’affiche comme le parrain de l’Orient Express de manière à inciter les têtes couronnées et la haute société européenne à embarquer.
Devenu un véritable symbole de l’art de vivre et du voyage, la légende de l’Orient Express tient également à la place que l’Histoire a bien voulu lui donner. L’histoire des inventions, à travers les nombreuses expositions universelles, mais aussi l’histoire de la littérature avec le non moins mythique Crime de l’Orient-Express d’Agatha Christie. Pour autant, cet objet de fantasme, qu’Apollinaire évoquera comme « le lieu de tous les débordements », n’a pas été épargné par les prises d’otages ni par les accidents : en 1931, la vedette de music-hall Joséphine Baker se trouve à son bord lorsque l’explosion d’un viaduc, non loin de Belgrade, entraine la chute de la locomotive et de deux wagons dans le ravin, entrainant la mort de vingt passagers.