Comment les anglais ont-ils pu produire les plus beaux cabriolets de l’histoire de l’automobile depuis l’après-guerre, alors qu’ils habitaient une île où la pluviométrie était une des plus fortes d’Europe ? Réponse à cette question cruciale et secrets de carrière d’un des plus célèbres roadsters britanniques, la Triumph TR4. À lire sous une légère bruine.
Par François Tauriac
Quand on a peu de soleil et des précipitations à la bretonne, forcément, on a envie de sortir dès les premiers rayons venus. C’est la seule explication plausible à la débauche de production anglaise de cabriolets depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Il y a cependant une raison un peu plus sérieuse qui explique la passion des Britanniques pour les convertibles. Si la Perfide Albion s’est spécialisée, depuis toujours, dans la fabrication des voitures sans toit, c’est surtout parce qu’elle s’était très vite rendue compte de l’importance du marché américain. Comme nous le disions dans un précédent article, elle y vendra 70 à 80 % de sa production entre les années 50 et 80.
La TR4 n’échappe pas à cette règle. Née en 1961 sur la base de la TR3 – elle-même évolution de la rustique TR2 -, la TR4 – TR pour Triumph Roadster -, bien qu’elle en reprenne le châssis, va créer une vraie rupture avec ses deux grandes sœurs. Aux courbes ondulantes de ses devancières, vont succéder les lignes tendues et anguleuses d’un roadster dessiné par l’italien Giovanni Michelotti. Entre le style moderne, dû au coup de crayon magique du designer transalpin et son gros 4 cylindres largement éprouvé chez Triumph, la TR4 va connaître un succès immédiat en particulier aux USA. Il faut dire que son créateur n’est pas un inconnu. Il a fait ses débuts chez le carrossier Vignale et dessinera toute son existence des Ferrari, Alfa Romeo, Maserati et même l’Alpine Renault A110. Quant au moteur, il n’est pas, comme le raconte la légende, une pauvre adaptation d’un bloc de tracteur – il sera monté par Massey Ferguson par la suite, d’où la confusion – mais une évolution d’un bloc de Standard Vangard avec une augmentation de la cylindrée qui passe à 2,2 litres. Certes, ce bloc, fonte culbuté, est loin d’être aussi noble que celui d’une MGA Twin Cam ou d’une Alfa Giulia double arbre. Mais sa conception simple en fait un moteur puissant et robuste. Associé à une boîte 4 overdrive – sur les deux vitesses terminales -, il fait même merveille et est capable d’emmener la TR, grâce à une puissance de 100 ch., à plus de 180 km/h. Bon, son train arrière à essieu rigide et ressorts à lames n’est pas un modèle de tenue de route. Mais il sera amélioré dès 1966 avec un pont arrière a roues indépendantes IRS – indépendant rear suspension.
50 ans plus tard, la prise en main d’une TR4 reste toujours un moment de plaisir. On laisse courir sa main, des feux de l’aile arrière jusqu’à l’élégant déhanchement de la porte, comme pour rassurer l’animal et on s’installe dans un habitacle cossu et bien équipé. Vitesse, compte-tours, pression d’huile, charge de dynamo, jauge à carburant… Il ne manque pas un manomètre Jaeger au tableau de bord. Le starter manuel est à tirette. Il commande l’enrichissement des deux carburateurs – Zenith Stromberg ou SU. La clef de contact est au milieu du tableau de bord. Elle est minuscule. Aussi petite que celle d’un cadenas de sac Kelly Hermès. Dès qu’on la tourne, on reconnaît le « re-re » caractéristique du démarreur Lucas asthmatique qui tousse comme un perdu. Une signature électrique, à la fiabilité pour le moins mesurée, qui vaudra à l’équipementier Lucas le surnom de prince of darkness – le prince des ténèbres. Alors, si l’allumage est bien réglé et qu’on n’a pas le pied trop lourd, le moteur ne tarde jamais à s’ébrouer. Même avec un collecteur d’origine et une ligne d’échappement – impérativement simplifiée -, la musique du gros 4 cylindres TR est ensorcelante. Et sa mélodie n’est pas sans rappeler celle d’un 1300 Cooper libéré au double échappement Peco ou d’un roadster italien de la même époque. Capot ouvert, ça donne un peu dans la salade de culbuteurs sous le cache arbre. Mais on sait bien qu’on n’est pas chez Jaguar.
L’embrayage est curieux. Surtout au relâchement. Normal, il n’est pas à diaphragme mais à ressorts. Mais la boîte de vitesse verrouille la première avec un débattement minuscule. C’est très agréable. Alors, les yeux rivés sur le seyant bossage de capot et les paupières de phares bombées, on est prêt pour le voyage sur petites routes. Si vous n’aimez pas le zéphyr, oubliez la TR4. Même vitres fermées, bien caché derrière le pare-brise, vous aurez droit à un typhon en tourbillon. La volute faisant partie du package, il n’est pas de plus grand plaisir que de se saouler aux fragrances des blés verts ou de l’humus en forêt. Le moteur est vif. Le châssis plutôt rigide. L’auto est réactive. On parvient vite à 4 000 tours. Inutile d’insister en essayant de tutoyer la zone rouge. Le 4 cylindres TR n’aime pas les hauts régimes. Et son couple parle en souplesse dès 2 000. Avec l’overdrive Laycock de Normanville, option essentielle, on peut même rouler à vive allure sans mettre les aiguilles dans la boîte à gants. Quand il est bien entretenu et que le niveau d’huile de boîte est bon, il réagit au quart de tour grâce à un déclenchement électrique par solénoïde agissant sur la 3 ème et la 4 ème vitesse. Un détail qui permet de rétrograder rapidement, sans oublier de mettre un coup de gaz, pour dépasser. Côté freinage, pas de quoi s’affoler. Ni de se réjouir non plus. Les gros disques avant font le job. Mais ils nécessitent une pression conséquente au pied pour ralentir la machine. Simplement parce qu’il n’y a pas de servo. Quant aux tambours arrières, ils fonctionnent assez bien, mais chauffent aussi très vite.
La TR4 a beaucoup brillé en compétition. Elle a même fait les 24 heures du Mans en 1961. Les Anglais courent encore beaucoup avec cette auto, certains français vernis aussi. Si vous décidez de faire une acquisition, vous n’aurez donc aucun mal à trouver des upgrades. Optez donc pour un kit tambour de frein « Al-fin » à ailettes et surtout pendant que vous y êtes, pour des amortisseurs à tube classiques genre Koni en lieu et place des Armstrong à levier d’origine, surnommés les kangourous par les collectionneurs, tant ils font rebondir la TR dès la moindre bosse. Le radiateur d’huile, facile à poser, ne sera pas inutile. Il y a de la place dans le compartiment moteur. La marque réussira même à y loger le 6 cylindres de la TR5. Une paire de disques avant ventilés ne coûte que 200 euros, un kit servo également. Si vous êtes vraiment riche, passez aux carburateurs Weber, optez pour un arbre à came fast road plus pointu et, pourquoi pas, pour une culasse à grosses soupapes. On trouve vraiment de tout en pièces.
Le mot de la fin revient à Gilles Pernet, journaliste, ancien producteur de la Formule 1 sur TF1. Grand amateur d’automobiles d’exception, il est par ailleurs propriétaire d’une TR4 A IRS Royal Navy Blue de 1966. « La première fois que j’ai vu cette auto, c’était sur le port de Concarneau en rentrant des Glénans, raconte-t-il. J’ai dû faire 800 mètres à son bord avec un copain assis derrière en travers. J’étais passager car je n’avais que 16 ans. Je vous en parle encore 50 ans plus tard… La même année, j’avais vu la TR4 au cinéma avec Belmondo dans « Echappement libre », un film de Jean Becker. Il en conduisait une, OEW – Old English White. Autant vous dire que dès que j’ai pu, je m’en suis offert une. J’ai tout fait avec ma TR. Je suis même allé de La Rochelle jusqu’à Paris par les petites routes. Pas loin de 500 km. J’adore cette auto. Je la sors encore dès que j’en ai l’occasion. Elle est plus véloce que ma MGB de la même année, pourtant monocoque. Plus incisive, joueuse et précise aussi. Un vrai bonheur. »
On trouve des TR4 à restaurer entre 7 et 10 000 euros. Un très bel exemplaire peut dépasser les 30 000. Un conseil : ne passez pas à côté du bonheur. Quel qu’en soit le prix. Vous ne serez jamais déçu par ce roadster attachant et mythique.
Quelques adresses : Rimmer Bross, le spécialiste anglais de la pièce Triumph ; Eliandre Automobile, le spécialiste capable de trouver toutes les anglaises (Christophe Decronembourg, Tel. 06.11.01.21.31.) ; Oscaro dispose d’une liste impressionnante de pièces pour les anciennes.