Vous avez un grave problème : vos pieds n’ont plus envie de mettre le nez dehors ! Après des mois de confinement passés nus sur le tapis persan, on peut comprendre qu’ils regardent vos chaussures à lacets avec dédain.
Par Raphaël Sagodira
Pour que vos petons acceptent de retrouver le monde extérieur, une seule alternative pourrait être possible : les mocassins. Ce sont des souliers sans lacets, décolletés, avec une couture de plateau en forme de « U ». Dernièrement, les mocassins ont le vent en poupe : il n’est plus nécessaire d’être élu BCBG de l’année à Versailles pour en avoir. Ce succès est dû à leur confort et à leur adaptabilité. On peut porter des mocassins aussi bien en costume qu’en chino ou en jean.
Mais ne laissez pas cette apparente simplicité vous berner. C’est un vrai terrain miné : il y a beaucoup de styles de mocassins. Mal choisis, les mocassins font un pied pataud et donnent une démarche abattue. C’est ce style de vilains mocassins qui peuple le plus nos villes : à l’image de leur propriétaire, ce sont en général de vieilles chaussures grisonnantes, grinçantes et un peu larges. Évitons cet écueil et passons plutôt en revue toutes vos options.
Premier style, le mocassin à languette avec une couture de plateau, le plus connu. Cette forme vient de la nuit des temps, des premières civilisations d’Amérique du Nord : des Alconquins du Québec. Dans les années 30, Canadiens et Américains les adoptent grâce à Nils Gregoriusson Tveranger. Il invente une chaussure qui emprunte des éléments amérindiens qu’il mélange aux chaussures traditionnelles de Norvège, pays dont il est originaire. En découle la forme à languette et à couture de plateau. Ce modèle est d’abord la spécialité du chausseur Bass, sous le nom de Wejuuns -pour mieux sonner du nord de l’Europe. Vous ignoriez cette appellation ? La faute aux étudiants WASPS de l’Ivy League qui en portent massivement après-guerre et les rebaptisent « Penny Loafer » : ils glissaient des pennies dans la languette des mocassins, pour y garder la monnaie des cabines téléphoniques !
Années 80
Très à la mode dans les années quatre-vingt, le fin du fin était chez Weston : c’était les 180. En 1985, les 180 ronds, larges et en « croco » faisaient fureur. Avec un costume croisé gris de couleur « peau de requin », c’était la tenue idéale des businessmen permanentés aux dents longues… Toute une époque ! De nos jours, ce modèle donne l’air délicieusement suranné de l’homme en pré-retraite.
Deuxième alternative : les mocassins à pampilles. Ils sont en général bordeaux, ronds, larges, épais, sans languette mais avec des pampilles tressées. Le modèle le plus célèbre ? Celui du chausseur Alden. Il se fait en cuir de cheval, le cordovan. Idéal pour les week-ends, c’est le mocassin le plus à la mode de nos jours. Votre épagneul breton adore en mâchouiller les pampilles.
Le genre baroque aux pieds
Troisième alternative, apparue dès les années cinquante, mais surtout dans les années soixante-dix et quatre-vingt. Ce modèle est sans languette, sans pampilles ni couture de plateau. Monté sur une semelle fine, il est plutôt pointu et se décore de deux mors à cheval en réduction, dorés ou argentés : c’est le mocassin de Gucci. Il donne un genre baroque aux pieds. De nos jours, cette forme est exclusivement portée par des gens très distingués : ceux qui vous invitent à dîner pour vous montrer leur horrible appartement pourtant très cher et vous expliquer en pourcentages les montants de leur augmentation annuelle, avant de vous servir un demi apéritif tiède.
Dernière évolution en date : c’est la forme la plus évoluée des mocassins, apparue au début des années 2000. Il s’agit du Lupin du bottier Aubercy. Acéré, avec un bout serre d’aigle, le Lupin est un mocassin très habillé. Ainsi, il sort du registre des chaussures décontractées. C’est le seul mocassin que l’on peut porter avec un costume de ville sans avoir l’air ringard. Le lupin est un mocassin dont la languette est en forme de masque ; il s’accompagne d’une couture de plateau cousue main, qui dessine presque le petit sourire satisfait d’un playboy accoudé au bar. Ce n’est pas le mocassin des hommes qui rentrent dîner à la maison.