Face au jardin des Tuileries, dans l’un des grands palaces, Alain Ducasse tient l’une de ses formidables tables gastronomiques parisiennes.
Par François Tauriac
C’est toujours une grande émotion de pénétrer un lieu chargé d’histoire. Qui plus est lorsqu’il est face au jardin des Tuileries. Et on le fait à chaque fois en pensant à la scène d’anthologie du célèbre film Paris brule t-il, quand à la libération de Paris en août 1944, Jacques Chaban Delmas vint recevoir la reddition du gouverneur militaire de Paris Von Choltitz dans le palace de la rue de Rivoli. Sans doute une des raisons pour laquelle le Meurice est magique. C’est un lieu à part. A la fois dans et hors du temps. Et dès l’accueil de l’équipe dirigée par le sympathique et efficace Frédéric Rouen, l’on sait que l’expérience sera remarquable.
La salle est splendide. Lumineuse. Elle est inspirée du Salon de la Paix du château de Versailles. Illustrée aussi par deux fresques, signées de la main du peintre Théophile Poilpot dans un esprit Commedia dell’arte. Et à l’image du Plaza Athénée, autre fief d’Alain Ducasse, elle combine le classicisme des bronzes, du cristal et des marbres, avec des éléments de décoration plus modernes. La touche Stark. Aussi, lorsqu’on on vous installe, avec le petit rien de solennité qui s’impose et qui précède souvent les grands moments, on comprend que l’expérience sera unique.
Quelques bulles d’Orezza fraîche en bouche pour aiguiser les papilles et la farandole des saveurs peut commencer. Légumes croquants sur un lit de cristaux de sel d’Himalaya avec tapenade : potager Aldente ; Araignée de mer servie dans sa carapace avec caviar gris de la Volga et pince tronçonnée : ode à l’iode ; Homard bleu pommes de terre slicées façon pâtisserie : crustacé patate ; Collection de fromages affinés, variation sur la framboises en coulis tiède et fruits glacés posés sur un lit de biscuits fins au chocolat : on est mûrs ; Baba au rhum comme à Monte Carlo crème vanillée : gorgé et aérien. Le tout arrosé d’un verre de Pommard premier cru. Encore du fruit. Rouge bien sûr, mais aussi noir, cerise prune et un petit final boisé irrésistible.
Si notre impérieux devoir n’était pas de faire fondre toutes ces merveilles en palais, on en resterait bouche bée. C’est beau, bon, exclusif, inventif et pourtant parfaitement respectueux de l’essentiel : le produit. Jocelyn Herland, le chef du Meurice – le chef a rejoint le Taillevent courant mars 2020, ndlr -, est un révélateur, un magicien. Il fait éclore des fragrances nouvelles de saveurs qu’on croyait connaître. C’est du grand art à la française, parfaitement orchestré par le boss de l’endroit et ses musiciens. Tout est précis, souriant et jamais obséquieux. Le prix s’oublie, la qualité reste disait Audiard. Qu’il avait raison. Rien n’est jamais trop cher lorsqu’il s’agit d’une expérience unique. Mais inutile de se jeter sur le menu dégustation, fameux mais hors de prix. Contentez-vous d’une entrée et d’un plat. D’un dessert aussi peut être. Du service et des amuses bouches. Menu servi au déjeuner à 110 euros. C’est évidement bien plus que votre petit restaurant favori. Mais la saveur de ces deux ou trois plats vous marquera à jamais. Et vous ne pourrez plus jamais regarder un légume dans les yeux, sans penser au jour où vous visitâtes une des meilleures tables du monde.