Quand on vient de Porto-Vecchio et qu’on roule vers Figari, il suffit de laisser traîner ses regards derrière la lisière des chênes lièges, comme un film tourné en filé, presque flou, pour découvrir quelques chemins secrets. A Valicella, les vignes sont si pentues qu’on dit que les pierres en galet peuvent bouger lorsqu’elles cuisent au soleil. Entre champs d’immortelles et prairies de lavande, le maquis est épais comme un roncier. Plus touffu qu’un bocage. C’est là que pousse la vigne de Pierre-Paul Nicolaï. Six hectares d’AOP Figari Corse, cépage vermentino. 60 000 m2 de terres belles et pures, calcaires et granitiques. Baignées de soleil en coteaux et de chaleur, tempérées par la mer très proche.
Pierre-Paul y produit un blanc fruité et délicat dont la qualité fait parler sur l’île et commence à bruisser sur le continent. Cela fait seulement cinq ans que ce jeune homme de 32 ans s’est improvisé avec succès vigneron. « Quand j’ai su que les terrains étaient en AOC, j’ai dit au paternel que je voulais vivre en haut, dans la vieille maison du grand-père. » Déterminé, mais sans la moindre expérience, il abandonne alors ses études d’italien, encouragé par son père, pompier à Porto-Vecchio. Ecoutant les conseils de son mentor, le vigneron Yves Canarelli, il commence à débroussailler sa terre envahie par les arbustes. Chasser les pierres et les ronces aussi. Il construit un hangar en apprenant la soudure et la mécanique sur le tas. Puis plante enfin ses premiers ceps. « Il a fallu tout apprendre, même à vinifier, se souvient-il ému. Le matin je commençais à 4h30 chez Yves. C’était si dur que j’en aurais pleuré. »
Mais la volonté de Pierre-Paul est inébranlable. Contre vents et soleil, jamais contre marées, il plante une centaine de ceps. Au printemps, ils donnent de grandes feuilles vertes – presque pomme – qui contrastent avec la noirceur charbon des pieds et surtout le Sienne beige de sa terre corse. « Aterra » comme on dit à Figari. A l’automne, il récolte à la main sa première vendange. Sa vigne n’a peur de rien, elle escalade les versants escarpés d’un terroir aride, mais unique, qui poudroie sèchement l’été, presque brûlé par 2 885 heures d’ensoleillement par an. Le record de France. Elle se cramponne à la montagne avec ses ceps aux bois noueux comme des couleuvres de loupe d’orme. Résultat, en quelques années, Pierre-Paul parvient à sortir un des meilleurs blanc de la région.
Son vin, il va chercher d’abord sa robe jaune pâle sur le caractère unique de son cépage vermentino. Son nez, il le sculpte sur les fleurs blanches de camomille et d’aubépine. Sa bouche délicate fait parler la soie de son acidité fine et équilibrée. C’est une réussite. Mais pas un miracle. « J’ai été formé par les meilleurs, avoue-t-il humblement. Mon terroir est magnifique, son exposition est rare. Le seul qui bénéficie de la même orientation c’est Jean Ferracci. Je ne fais que récolter le fruit de ma chance. » Et il ajoute en souriant : « si je ne le fais pas, qui le fera ? »
Le fruit de son travail acharné aussi, car Pierre-Paul ne se contente pas que de cultiver sa vigne, il gère des plantations d’immortelles sur plusieurs hectares et distille ses propres huiles essentielles. Il utilise d’ailleurs les restes de ses fleurs distillées comme engrais pour ses vignes. Résultat, Pierre-Paul produit désormais 1 000 bouteilles par an. On dit que son cru exhale des notes de pommes fraîches et d’amandes vertes. Il y a même quelques rêveurs, poètes, qui lui trouvent des notes de poires et d’ananas frais. Ce n’est pas par hasard que le viticulteur a fait figurer un bel arbre sur l’étiquette de ses bouteilles. Il en reste un seul et unique, au beau milieu de son domaine. C’est un genévrier. Nul ne peut dire s’il a une quelconque influence sur le goût de ses crus. Mais ce vestige multi-centenaire, qui date sans doute de la jeunesse de ses arrière-grands-parents, ressemble en tout point au caractère de notre jeune vigneron. Comme lui, il a su faire prospérer ses racines dans la terre pierreuse de sa montagne, face à la mer, bien plus haut que les oliviers moins intrépides, Comme lui, il est chevillé au corps de ce terroir. À l’âme de son pays. Profond et franc comme sa poignée de main et ses cheveux de geai. Solide et inaltérable comme le témoin d’un savoir-faire ancestral qu’il a su faire renaître.
Par François Tauriac
Contacts : Domaine Nicolaï – AOP Figari Corse – D22 Valicella 20114 Figari – 06.83.81.91.85. et domaine.nicolai2a@gmail.com