Passionné de voile depuis sa petite enfance, Armel Le Cléac’h prend le goût à la compétition sur le tard, lorsqu’il remporte, en 2003, la solitaire du Figaro. Quinze ans plus tard, en janvier 2017, après 74 jours de navigation sans escale ni assistance, le breton remporte le graal : le Vendée Globe. Rencontre avec un aventurier des mers.
Par Ombeline de Louvigny
Comment fait-on pour garder la tête sur les épaules, lorsqu’on est considéré comme un surhomme ou un super-héros ?
Je ne suis ni l’un ni l’autre, même si j’ai parfaitement conscience d’avoir réalisé des choses que le grand public peut qualifier d’hors norme. Je sais d’où je viens, et les gens qui m’entourent me permettent de rester dans quelque chose de stable. En début d’année, j’ai remporté une victoire significative et très symbolique, mais tout n’a pas toujours été si simple. J’essaie donc d’apprendre à ne pas m’emballer avec la folie médiatique, à ne pas oublier mes difficultés du passé et à penser à l’avenir. Quand tout fonctionne, il est important d’en profiter mais jamais il ne faut oublier qu’on ne sait pas de quoi est fait l’avenir.
En quoi consiste votre entraînement pour une course telle que le Vendée Globe ?
Nous ne sommes pas des experts dans un domaine précis. Il faut apprendre à tout faire puisque sur le Vendée Globe, nous sommes seuls sur le bateau. Vivre seul est d’ailleurs la première chose à assimiler. La préparation pour une course en solitaire autour du monde, c’est plus de deux ans de travail : un entrainement sur l’eau pour maîtriser parfaitement le bateau, mais aussi sur terre pour préparer le physique ou encore le sommeil. Sur une course en solitaire, les nuits ne durent pas huit heures ; le sommeil est coupé toutes les heures.
Vous avez parcouru 45 000 seul en mer et laissé votre famille pendant 74 jours. Quel est votre rapport à la solitude ?
Je suis transcendé à l’idée de partir relever un tel défi. J’aime les histoires de quête, comme le Seigneur des Anneaux ou Star Wars. Je me plonge dans un univers de personnage partant à l’aventure. Sur le bateau, mon objectif est d’arriver au bout, et de vaincre. Donc finalement, la solitude ne me pèse pas. Je sais où je vais, j’y suis préparé. Et je sais également qu’il est important pour moi, pour mon équilibre, de me retrouver seul face à cet élément naturel qu’est la mer. Néanmoins, au delà de cette solitude, c’est surtout l’éloignement avec ma famille qui est difficile à vivre. La solitude est un état, mais ma famille est un manque.
Votre rapport à la mer ?
Il est vital. J’ai beaucoup de mal à vivre longtemps loin de la mer. Naviguer représente pour moi un authentique ressenti de liberté. Je suis plus à l’aise sur le pont que le sur la terre ferme. D’ailleurs, je trouve facilement le chemin à prendre sur la mer, alors qu’en ville, je ne suis pas vraiment à l’aise.
Avez-vous déjà craqué lors d’une course ?
Il m’est arrivé de vivre des moments de doutes. Lors du Vendée Globe, cet hiver, j’ai rencontré des problèmes avec une voile. J’ai cru, plusieurs heures durant, que tout allait s’arrêter. En 2014, c’est une blessure à la main qui m’a contraint à déclarer forfait pour la Route du Rhum, dont j’étais le favori. Psychologiquement, ça n’a pas été simple.
Inculquez-vous à vos enfants des règles de vie que votre expérience de la course en solitaire vous apprend ?
J’essaie de ne pas faire de parallèle entre ma vie de marin et ma vie privée. Mais une chose est certaine, néanmoins : la course en solitaire nous confronte à des situations pas évidentes qui nous permettent de prendre du recul sur les choses. Sur un bateau, il faut aller à l’essentiel. Et c’est un point que j’essaie d’apprendre à mes enfants.
Leur transmettez-vous votre passion ?
Oui, mais sans forcer. Naviguer doit être un plaisir, ce qui passe, pour eux, par des croisières ou de l’optimiste, l’été, à l’école de voile. Je ne suis pas le genre de père à les pousser en permanence à la compétition, et d’ailleurs, ce n’est pas leur sport préféré.
En 2019, vous allez parcourir le tour du monde en multicoque. Quels sont les défis d’une telle traversée ?
Ce bateau est très différent d’un monocoque. Il est deux fois plus grand : 32 mètres de long, 23 mètres de large. Il va beaucoup plus vite. La navigation est donc fondamentalement différente et, donc, la préparation également. Pour autant, l’expérience est similaire : il s’agit d’un tour du monde, qui devrait durer deux petits mois. C’est toujours un challenge ! Par la suite, je pense réaliser d’autres tours du monde, mais en équipage…
Aimeriez-vous vivre ailleurs qu’en Bretagne ?
Parfois, oui, mais par période… Dans une vie idéale, j’aimerais vivre trois ou quatre mois dans l’année dans une région ensoleillée. Mais avec les contraintes de la vie quotidienne, ce n’est pas envisageable (rires).
Un voyage vous a-t-il particulièrement marqué ?
Un voyage de trois semaines aux Marquises. J’y ai découvert un endroit magique et toutes ces îles m’ont fascinées. Mon séjour a surtout été ponctué de rencontres et de retrouvailles, comme celle avec mon grand oncle qui vivait là-bas.
Votre prochain voyage ?
Il sera familial. Nous souhaitons, mon épouse et moi, emmener nos enfants en Asie. Je voyage beaucoup en bateau mais je ne connais pas ce coin du monde. Et j’en ai entendu beaucoup de bien…